Requiem pour des doux

Dans une version digeste habilement menée, Alex Crestey garde la profondeur du mythe d'Orphée et Eurydice tout en lui offrant quelques respirations bienvenues car l'effroi n'est jamais loin.


Il fallait les entendre ces mômes de dix ans rire pour masquer leur peur pour les plus chanceux ou laisser échapper un cri pour d'autres. C'est que le théâtre, avec trois fois rien, peut provoquer des émotions d'une force presque violente tant la proximité avec les comédiens ne protège de rien. Pas de quatrième mur pour ces écoliers-là qui sont le réceptacle d'un spectacle finement construit. Alex Crestey, issu comme la plupart de ses acolytes du décidément précieux Conservatoire de Lyon a amputé le livret originel de la fin et la renaissance d'Eurydice mais a tout de même gardé la trame, notamment musicale, de cet opéra signé Gluck.

En version piano solo, la partition n'en demeure pas moins tragique et inquiétante entrecoupée d'œuvres bien plus récentes comme des airs de l'indémodable (vraiment ?) Dalida, de la grande Piaf ou le très blues et presque disco avant l'heure What a difference a day makes de Dinah Washington. Ce mélange des genres étonne et détonne. Mais ne jure jamais tant les deux duos d'acteurs tiennent leurs rôles et que le travail sur le maquillage et les costumes accompagne ces gestes.

Ils ont oublié de vivre

La mort rôde sous la forme d'un masque multi-visages rendu très flippant par la création lumière mais c'est bien la douceur noire des amants maudits qui teinte ce spectacle d'une gravité absolue. Encore très jeunes mais déjà bien connus de nos services pour avoir été récemment dans de très bons projets, Johan Boutin (vu notamment dans le Huis clos d'Olivier Rey) et Savannah Roll (War and breakfast, La Famille royale de Thierry Jolivet, bientôt à l'affiche dans le Margot de Laurent Brethome, aux Célestins en janvier) se font chanteurs à la voix parfois hésitante mais jamais fausse.

C'est la fragilité de leurs personnages qui émane avant tout de cet Orphée et Eurydice qui prouve que même sans les moyens démesurés d'un opéra (quoique Laurent Pelly ait sans doute signé son chef d'œuvre opératique avec Orphée aux Enfers), il est possible d'en restituer la substantifique moelle.

Orphée et Eurydice
Au Théâtre des Clochards Célestes jusqu'au 22 décembre


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Arturo Brachetti aux Célestins