Aux abords du ring

Qu'est-ce qui peut pousser à monter encore Le Misanthrope ? Peut-être un désir d'attirer le plus grand nombre (ah Molière !) pour mieux montrer sa vision du théâtre. À la lisère du texte et de son époque, Louise Vignaud impose sa patte : respectueuse mais pas trop.


Tout lui réussit. À 29 ans, Louise Vignaud dirige le Théâtre des Clochards Célestes et après une création l'an dernier aux Célestins, une cette saison au TNP (elle appartient au "cercle de formation et de transmission"), elle s'apprête à monter Phèdre de Sénèque au Studio-Théâtre de la Comédie-Française avant une version, qui nous intrigue grandement, du Quai de Ouistreham de Florence Aubenas aux Clochards en fin de saison. Dans ce marathon vertigineux, la normalienne-ensatienne ne bâcle rien. Le Misanthrope en est la démonstration. Parfaitement huilé dès sa première date, ce spectacle n'est pas lesté du décorum du XVIIe siècle.

Un plateau en quadri-frontal quasi dénudé offre un très intelligent terrain de jeu aux protagonistes en tête desquels Alceste, constamment sur le qui-vive, semblant être dans l'attente d'une passe, en l'occurrence une réplique ou d'une joute de son adversaire à la langue ampoulée et en vers, Oronte, ou d'une Célimène instable. Mikael Pinelli, absolument remarquable dans le travail d'Olivier Maurin (En courant dormez, Illusions), trouve ici un rôle auquel il ne confère ni lourdeur ni trop de malignité. Il aurait été facile de cabotiner face à cet aréopage de courtisans cernés par ce dispositif de plateau. Il nous prend, public, à témoin de la duplicité de ses acolytes mais sans jamais les écraser.

« Je hais tous les hommes »

De plus, un autre personnage mystérieux, rôdant tantôt au sol, tantôt dans les travées supérieures du théâtre, accentue cet effet d'observation qui contraste avec un éventuel jugement. Pour autant, dans cette volonté de bien faire, de trouver un équilibre perpétuel, pointe une forme de maniérisme qui se décline dans une bande-son de grondements orageux et dans les costumes lointainement inspirés de l'époque (pantalon bouffant pour les hommes) mais agrémentés d'une pluie de perles pour les gardes.

Louise Vignaud a l'art du (léger) pas de côté à l'instar aussi de la musique (un instrument période Molière, le clavecin, qui semble désaccordé). Son théâtre offre un point de vue décalé (les lectures de lettres dans le 5e acte ne sont pas faites par ceux que l'auteur a désigné) sans trop froisser l'œuvre.

Le Misanthrope
Au TNP jusqu'au 15 février


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