Au cœur des ténèbres

Poursuivant ses "pièces du vent", Phia Ménard livre avec Les Os noirs un nouveau spectacle d'une incroyable noirceur, moins remuant que Vortex mais toujours aussi exigeant.


Elle a repris la structure du théâtre classique mais l'a légèrement modelé. Ses trois actes sont des « passages à l'acte » énoncés comme tels par une voix-off bien peu encline au suspens. C'est que Phia Ménard, circassienne de formation, plonge dans les méandres des suicidaires. Elle-même, dit-elle, qui a connu la transformation d'un corps d'homme en femme, s'est « éloignée de la falaise » et l'acte de suicide l'accompagne « depuis tout le temps, comme la ciguë dans la poche du résistant, sans compromis. » En quelques tableaux puissants, elle dit comment y parvenir et – avec plus d'acuité encore - les douleurs qui y conduisent comme cette traversée de la forêt telle une enfant sauvage, de sa complice au plateau, Chloé Sanchez.

Mais ce qui est le plus prégnant dans ce travail est la lutte que déploie sans cesse son personnage pour ne pas basculer dans les ténèbres : la dépression sous laquelle elle a continué d'avancer en souterrain tel un ver de terre et qui, sitôt à l'air, l'écrase (c'est ici une immense boule de papier), la danse tournoyante comme un acharnement à rester debout, les efforts faits dans cette forêt pour se relever tel un girafon dont les pattes seraient encore trop frêles pour le porter...

Sans retour

Cependant l'ampleur de la scénographie des multiples séquences amoindrit le propos qui dans Vortex se tenait en une phrase unique. Ce choix radicalement différent laisse peu de place à l'émotion viscérale qui émanait de la pièce de 2011. Reste une continuité entre tous ces gestes, grâce notamment à la matière. Phia Ménard nomme précisément son processus de recherche I.C.E. (Injonglabilité Complémentaire des Éléments). L'air et le plastique noir, telle une régurgitation de la bile de la planète, sont son vocabulaire. La bande sonore faite de grésillements d'un disque qui tourne à vide ou de borborygmes d'une humanité à bout de souffle accompagne cette fouille dans les entrailles de l'humaine dont l'artiste n'extrait, avec désespoir, que des os noirs.

Les Os noirs
Au TNG - Vaise jusqu'au 8 mars


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