Tropical family

En compagnie de ses trois fils Moreno, Zeca et Tom, l'immense songwriter brésilien Caetano Veloso, 75 ans, offre un spectacle collégial et familial qui promet d'être un sommet de joie et de mélancolie mêlées, à venir écouter religieusement comme l'indique un titre qui prône le recueillement : Ofertorio.


En général, quand le New York Times dit quelque chose – enfin, l'écrit –, on l'écoute. Or s'agissant de Caetano Veloso, co-inventeur de la MPB (música popular brasileira, soit la pop brésilienne) et peut-être surtout avec son ami Gilberto Gil et quelques compères bien inspirés (Gal Costa, Os Mutantes, Jorge Ben...) de ce tropicalisme qui révolutionna la musique brésilienne en lui donnant des atours pop, psychédéliques et surtout, révolutionnaires – chose peu anodine à l'époque –, le Times, donc, déclare que l'auteur d'Irene est « l'un des plus grands songwriters du siècle ».

Il ne dut pas être le seul et à vrai dire, bien malin qui pourrait dire le contraire face au génie, extraordinairement prolifique, de celui qui a su allier, notamment à une époque, les années 60, où la musique pop connaissait un bouillonnement sans précédent, tradition bossa et avant-garde (ce qui lui valut sans doute ses plus violentes critiques, deux mois d'emprisonnement et un exil anglais – comme Gilberto Gil – au début des années 70, car il y avait là quelque chose de politique) ; les compositions savantes et la pop ; les musiques rurales et urbaines; le métissage de Bahia et les paradoxes cariocas. Le tout avec un sens de la poésie encore aujourd'hui souvent inégalé.

Veloso & fils

Un génie, donc, à la discographie longue comme le bras et aux collaborations multiples dont la dernière n'est pas anodine. Car si, comme le disait mémé, « les chiens ne font pas des chats », c'est particulièrement vrai dans le cas de Caetano Veloso qui a engendré trois fils également musiciens et tout aussi solaires.

Les spécialistes connaissent peut-être Moreno, l'aîné, déjà aperçu dans de multiples projets dont Moreno +2 et l'Orquestra Imperial avec l'excellent Rodrigo Amarante – ce Caetano 2.0 que l'on avait déjà évoqué dans ces pages –, également producteur d'albums de son père et auteur, outre des projets mêlant rythmes brésiliens et musiques électroniques, d'un album particulièrement métissé, Coisa Boa, en 2014 sur Luaka Bop le label sono mondiale de David Byrne, ce défricheur de talents dont les Talking Heads doivent beaucoup à l'influence tropicaliste.

Et si l'on connaît moins ses cadets Zeca et Tom – qui ont respectivement 20 et 25 ans de moins que lui – on a tôt fait de les ramener au nid familial, car si la ressemblance avec un Caetano jeune est troublante, ils en ont manifestement aussi hérité, comme leur aîné, de quelques gênes musicaux. Car chez les Veloso, y compris quand on a emprunté des chemins de traverse ou de vagabondage, on finit toujours par être rattrapé par la musique – Moreno n'est-il pas diplômé en physique ? –, atavisme sans doute aussi un peu brésilien.

Atavisme et dilettantisme

Or c'est un peu de tout cela qu'est né le projet live Ofertorio présenté aux Nuits de Fourvière : quelque part entre atavisme, dilettantisme, rapport filial, création au fil de l'eau, joie pour un père de 75 ans de se trouver sur scène avec ses fils et inversement (Caetano n'a jamais oublié une première expérience similaire menée avec Moreno).

Car loin de n'être qu'un concert (aujourd'hui publié en disque, mais en live c'est tellement mieux) centré autour de la célébration de la figure paternelle et des 50 ans du Tropicalisme (puisqu'on fête tant d'anniversaires, ces temps ci), Ofertorio regroupe à la fois des classiques de Caetano et Moreno et des compositions inédites sur lesquelles sont surtout intervenues les fils – on ne cachera pas que la voix de Zeca semble tombée du ciel.

Le tout sans l'appui d'un groupe : juste les quatre Veloso, à égalité, dans un dénuement acoustique d'une grâce absolue, entre saudade et appel à la danse, fredonnement et harmonies vocales. Ici pas question d'héritage à transmettre, juste quelques secrets à se dire ou quelque rituel intime à partager avec le public. Au point qu'il n'est même plus question de génie, concept devenu si dérisoire à ce niveau de partage.

Caetano, Moreno, Zeca & Tom Veloso – Ofertorio
Au Théâtre Antique de Fourvière le jeudi 5 juillet


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