Un Échange à sec

Dans une proposition plus aride que jamais, Christian Schiaretti semble avoir trouvé avec L'Échange de Claudel la matière à un ascétisme qui repose entièrement sur le texte et les acteurs.


Il a beaucoup pratiqué les tréteaux avec ses Molière, avait placé Coriolan sur un plateau dénudé en pentes très douces où tout convergeait dans une petite bouche d'égout ; même lors de la réouverture du TNP rénové en 2011, les azuleros bleus de son Ruy Blas ne semblaient guère l'intéresser et faisaient plus figure de décorum que de décor. Désormais, Christian Schiaretti a pu faire, en cette maison qu'il dirige depuis 2002 et jusqu'à fin 2019, de la place au texte, rien qu'au texte et ses transmetteurs que sont les acteurs. De son propre aveu, ce sont là « des vacances scénographiques ! ». Fanny Gamet a simplement posé un sol bleu entaché de larges traces de plus en plus rougeoyantes au fil du spectacle entamé par une chute de sable en pluie drue puis, plus tard, un mur étoilé. Fermez le ban.

De cette aridité découle un travail de mise en scène à minima – Schiaretti parle très honnêtement et plus volontiers de « mise en jeu ». Le jeune couple Louis Laine / Marthe va se disloquer sous les coups de boutoir du duo grisonnant Lechy Elbernon / Thomas Pollock Nageoire. Lorsque Claudel écrit L'Échange en 1894, il est alors lui-même, comme la jeune catholique de sa pièce, loin de sa famille, vice-consul aux États-Unis à New York puis à Boston où il se nourrit d'Eschyle et le traduit, « s'ouvrant au modèle classique d'un théâtre uniquement fondé sur les relations individuelles » comme le souligne Anne Ubersfeld.

Toutes jambes dehors

Pour ces solos, trios ou quatuors, Schiaretti travaille la diction des vers avec une rigueur indéniable, puisque selon où est placée la respiration, la césure, le sens se modifie (voir son travail sur Les Visionnaires de Saint-Sorlin à l'ENSATT). Tout son travail de direction est là, bien plus que dans les gestes et un corps presque absents. Cette langue (parfois à l'imparfait du subjonctif !), la jeune comédienne Louise Chevillotte s'en saisit magnifiquement.

Elle porte sur elle le déchirement que s'échinent à lui faire subir les autres ; Francine Bergé semble s'amuser comme une enfant, avec une aisance inouïe du haut de ses 60 ans de carrière, et joue de la folie démoniaque de son personnage dont la profession est... actrice, lui permettant ainsi de faire des apartés sur la vérité du théâtre. Robin Renucci, plus en retrait et Marc Zinga, plus en force complètent la distribution. Bien sûr, le thème de l'argent roi mêlé à l'histoire ancestrale des Indiens d'Amérique et aux références bibliques donnent à ce texte une a-temporalité mais, paradoxalement, à trop miser sur la scansion des personnages, Schiaretti le fige aussi dans une époque révolue du théâtre.

L'Échange
Au TNP jusqu'au 22 décembre


<< article précédent
Katinka Bock, à rebours de l'élucidation du monde