Outre-noir

Toujours pas guéri d'une sociopathie hautement justifiée, Pascal Bouaziz, leader de Mendelson, remet avec son compère Jean-Michel Pirès, le couvert de Bruit Noir. Qui coupe une nouvelle fois le monde en tranches pour en faire l'autopsie radicale, drôle et désespérée. Mais jamais tout à fait désespérante.


À la fin d'un disque de Pascal Bouaziz, flotte toujours dans l'air cette question qui est encore du Pascal Bouaziz, comme le silence d'après-Mozart est encore du Mozart : que va-t-il bien pouvoir faire après ça ? Jusqu'où va-t-il pouvoir aller maintenant qu'il a poussé les murs des ruines du rêve occidental dans des retranchements derniers qui sont autant de tranchées infranchissables ? On lui avait posé la question après Mendelson, disque somme sorti en 2013.

À cette question en suspens, Bouaziz avait répondu indirectement mais franchement – et en plusieurs temps – avec Bruit Noir I/III, projet mené avec et à l'initiative de "Mitch" Pirès (NLF3, The Married Monk), son album solo Haïkus et le Sciences Politiques de Mendelson, album de reprises et de prise à la gorge d'une réalité bonne à étrangler. Autant de projets menés de front – au sens propre – où la radicalité se faisait toujours plus tranchante à force de refus d'arrondir d'impossibles angles.

Un monde meilleur

Après ce I/III revendiqué « disque de papier crépon » sur le faux-single Le Succès, Bruit Noir crache « un nouvel album pour que dalle » comme on jette un pavé dans un trou noir. Noir comme le souvenir de 1967, noir comme l'horizon d'un monde qui se défait, noir comme le voile qui se pose sur l'avenir de L'europe, noir comme le constat d'une industrie musicale moribonde, noir comme ce sentiment d'être Des collabos d'un système qu'on vomit pourtant, noir surtout comme l'humour aux teintes Soulages que chique Bouaziz telle une boule tabac humectée de bile, coincée au fond de sa joue comme un abcès trop mûr.

Là dessus, Pirès déverse un suc sonore expérimental qui ronge tout sur son passage. Et II/III de foncer comme un métro rouillé, voyage au bout de la nuit, terminus désespoir. Sur la ligne on croise Plutarque et Pasolini, Jeanne Moreau et Daniel Darc chez Ed l'épicier, Hemingway et Daniel Balavoine, Tarkovski et Romy Schneider. On croise surtout des fantômes car « tout le monde est mort ». Comme est morte-née l'idée d'un monde dans lequel Bouaziz aurait eu du succès, qui « aurait forcément été un monde meilleur ».

De là, en plus du désir à la fois irrépressible et impossible de Partir, ne subsiste, comme le souvenir d'une douleur lancinante, que l'idée, assénée sur Les animaux sauvages, qu'« on peut peut-être encore repousser les limites ». Encore et toujours. Peut-être le seul moyen de se sentir encore vivant pour un homme qui chantait il y a plus de vingt ans : Je ne veux pas mourir. Et seule « Bonne nouvelle » - comme la station métro du même nom, annoncée en bout de ligne – de cet album malgré tout rassérénant.

Bruit Noir + Horse in the House
Au Périscope le jeudi 7 mars


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