Songes à la douceur

Programmée dans le cadre des Femmes s'en mêlent aux côtés d'Emily Wells, Jessica Pratt s'affirme à pas et voix de velours, comme l'une des figures incontournables d'une richissime scène folk-pop féminine. Comme le confirme son Quiet Signs, délicat et élégiaque.


« Ne pas juger un livre à sa couverture » nous disait récemment Gabriel Kahane, métaphorisant les électeurs de Trump. L'adage vaut également parfois pour les disques. En tout cas pour le récent album de Jessica Pratt. Sur la pochette de Quiet Signs, on la voit ainsi perchée sur un lit dans une chambre qui figurerait, symboliquement, la sienne. Mais c'est une fausse piste que nous livre la chanteuse-autrice-compositrice.

De fait, pour Quiet Signs, Jessica Pratt a bel et bien, pour la première fois, quitté la chambre. Abandonnant au passage sa méthode de composition et d'enregistrement domestique (ces deux phases de création étant jusqu'ici chez elle quasi simultanées) pour entrer dans un véritable studio, à New York. Sans que le résultat en soi rendu pour autant aux antipodes de ses deux précédentes productions.

Car la force douce de l'intime demeure, comme persiste cette sensation que Jessica Pratt nous susurre directement à l'oreille ses chansons, mélange de lévitation folk et d'étrangeté pop réduite à sa plus simple expression (sa voix, singulière, enfantine si ce n'est elfique, une guitare classique, ici un piano, qui offre l'ouverture instrumentale du disque, là une flûte, aucune percussion). Folk et pop, et en même temps ni l'un ni l'autre. Ou plus que cela quand des lignes bossa s'invitent à cette danse intérieure.

Secret d'alcôve

Irréductible à toute tentative de datation, les compositions élégantes de Jessica Pratt flottent dans un espace-temps indéfini qui évoque l'âge d'or 60's de Laurel Canyon et d'ailleurs (il est permis de penser à Joni Mitchell mais aussi à Linda Perhacs, Karen Dalton ou à l'Anglaise Vashti Bunyan), autant que les audaces féériques contemporaines d'une Joanna Newsom.

La réverbération appliquée à sa voix, comme un espuma posé sur sa musique, ne faisant qu'ajouter à cette sensation vagabonde et onirique à la temporalité aussi lynchienne que ce regard éternellement souligné de khôl (un peu de noirceur Southern gothic dans cette pastorale californienne).

Car derrière cette apparente simplicité mélodique et harmonique se cache une grande subtilité et une sophistication qui semble tenir à demeurer comme un secret d'alcôve. Oui, Jessica Pratt ne garde plus la chambre lorsqu'elle crée, mais sa musique reste, à sa manière, une musique de chambre. Au moins pour celui qui l'écoute et s'y pelotonne pour convoquer la rêverie.

Jessica Pratt + Emily Wells 
À l'Epicerie Moderne le mercredi 10 avril


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Love etc.