Nomadland

Une année en compagnie d'une sexagénaire jetée sur la route par les accidents de la vie. Un road trip à travers les décombres d'un pays usé et, cependant, vers la lumière. Poursuivant sa relecture du western et des grands espaces, Chloé Zhao donne envie de (re)croire à la possibilité d'un rêve américain. Primé au Tiff, Lion d'Or à Venise, Oscar du meilleur film.


L'Ouest, le vrai : frappé par la désindustrialisation. Où les baraques préfabriquées sont ouvertes aux quatre vents et les villes devenues fantômes. Où une partie de la population, victime de maladies professionnelles, dort au cimetière et les survivants… survivent comme ils le peuvent. Certains, comme Fern à bord de son vieux van, ont pris la route et joint la communauté des nomades, enchaînant les boulots saisonniers au gré des latitudes. Loin d' une partie de plaisir, son voyage sera tel un pèlerinage l'obligeant à se priver du superflu, l'autorisant à se défaire du pesant…

Inspiré d'un livre-enquête de Jessica Bruder consacré aux victimes collatérales de la crise des subprimes de 2008 (des sexagénaires privés de toit poussés au nomadisme), Nomadland s'ouvre sur un carton détaillant l'exemple de la ville d'Empire dans le Nevada, passée de florissante à miséreuse, et nous fait suivre sa protagoniste en âge d'être à la retraite, cumulant des petits jobs précaires chez les nouveaux rois de l'économie. Des éléments à charges supplémentaires contre l'ubercapitalisme, direz-vous ; un addenda au documentaire glaçant de Claus Drexel America montrant la base électorale de Trump galvanisée par sa propre misère et le fantasme d'une reconquête de sa grandeur d'antan. Oui… et pourtant non : sans rien édulcorer dans son constat, Chloé Zhao signe un film habité par la reconquête de l'espérance où, derrière les “vedettes“ Frances McDormand et David Strathairn, (têtes de gondole de cette fausse fiction) défilent des non professionnels légitimant par leur présence et leurs témoignages la véracité du propos. Une succession de rencontres réconfortantes et de solidarités, où le happy end n'est ni un vain mot, ni un concentré de guimauve — il évoque même lointainement la fin de La Prisonnière du désert de Ford.

No Country for Old Woman ?

Nomadland parle de la réconciliation avec soi-même, d'une liberté recouvrée dans le choix de vivre (ou de mourir), mais aussi en creux de la réconciliation d'une nation. Native de Chine, Chloé Zhao possède peut-être cette foi en l'Amérique que l'Amérique elle-même semble avoir égarée en route. Après tout, les grands chantres de l'épopée de l'Ouest au siècle dernier que furent John Ford, Anthony Mann, Henry Hathaway ou Sergio Leone étaient tous descendants d'immigrants voire européens…

En peu de temps et de longs-métrages (Les Chansons que mes frères m'ont apprises, The Rider), la réalisatrice est en tout cas parvenue à insuffler un esprit à la fois très ancien et complètement nouveau au cœur du vieux cinéma américain, au plus profond de ses territoires fondateurs (l'Ouest, le désert, la route…), en compagnie de ses figures tutélaires (cow-boys solitaires et déchus…). Au cœur, c'est-à-dire là où il faut (se) battre pour vivre afin de se réinventer — un des mantras de la cosmogonie étasunienne — ; surtout quand tout semble perdu. Son “Make America Great Again“ n'a rien d'un slogan revanchard rance ni impérialiste, il est une injonction à poursuivre l'idée originelle des pionniers : repousser les limites de l'horizon. Et, sur un champ de ruine, à penser comme Scarlett O'Hara demain comme « un autre jour », face à des ciels incroyables zébrés de rose et de bleu pastel, aubes ou crépuscules prometteurs. « Cela s'appelle l'aurore », écrivait Giraudoux dans Électre…

★★★★☆ Nomadland 
Un film de Chloé Zhao (É-U, 1h48) avec Frances McDormand, David Strathairn, Gay DeForest…


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