Boîte noire

Un analyste opiniâtre du BEA ayant découvert que les enregistrements d'un crash aérien ont été truqués, se trouve confronté à l'hostilité générale… Yann Gozlan creuse le sillon du thriller politique, lorgnant ici le versant techno-paranoïde et transposant l'esprit du ciné US des années 1970 aux problématiques contemporaines. Brillamment réalisé.


Après le crash du vol Dubaï-Paris, un jeune analyste prodige détecte que les pistes sonores des boîtes noires ont été trafiquées. Au fur et à mesure d'une enquête qui l'isole de plus en plus et mine son couple, il réalise la compromission de responsables industriels et politiques. Et que sa propre vie paraît, elle aussi, en danger…

Toute incursion dans le thriller politique — jadis domaine régalien du cinéma américain, un peu en déshérence depuis une vingtaine d'années — est la bienvenue. À condition évidemment qu'il y ait à la fois en enjeu politique cohérent et un traitement suffisamment rythmé pour répondre aux exigences de ce registre : les barbouzeries et collusions entre officines para-gouvernementales avaient ainsi permis à Coppola (Conversation secrète), Pollack (Les Trois jours du Condor), Pakula (The Parallax View) ou De Palma (Blow Out) de placer haut la barre au milan des années 1970, avant que le genre ne s'hybride définitivement avec des problématiques technologiques depuis Clancy, Crichton et consorts, signant l'avènement inéluctable du monde globalisé et multipolaire décrit par le Snowden de Stone. C'est dans cet univers d'intrications et de réseaux (mot-clef de son intrigue, à bien des égards) que Yann Gozlan situe Boîte noire où l'on vole (terme ici étonnamment polysémique lui aussi) sans se soucier des frontières, des lois, de la morale. Le cinéaste joue avec les sens… mais aussi avec les sens.

Car du son, élément germinatif du récit, Gozlan crée un étonnant matériau donnant à voir ce qu'une bouillie de fréquences hachées évoque à une oreille aguerrie — on croirait les flashes du médium de Dead Zone. Sa réalisation, ample et fluide, servie par des plans-séquences hallucinants, dont celui d'ouverture, transforme chaque écoute en nouvelle hypothèse et conduit à interroger la validité des images par la vue autant que l'ouïe. À l'époque du deep-fake, inutile de dire à quel point cette précaution est salutaire, même si elle transforme le spectateur en clone de son héros campé par Pierre Niney : en obsessionnel paranoïaque…

Du virtuel et de la mort

Autre grand axe exploré par Boîte noire, celui d'une solitude paradoxale dans la mesure où elle est sans cesse parasitée par des spectres — encore une fois, dans tous les sens du terme. Des manifestations vocales de trépassés hantant, dans un cercle vicieux, jusqu'à la folie celui qui les sollicite afin de les arracher à leur mort injuste prématurée, mais qui de fait se prive à son tour de repos. Ce thème d'une impossibilité — du refus — d'accomplir un deuil trouve un écho (!) dans l'hypnotique Serre Moi fort de Mathieu Amalric (15/09), où le personnage joué par Vicky Krieps ayant perdu mari et enfants dans une avalanche, projette la poursuite de leur existence dans une vie parallèle ; un dérivatif à son chagrin pour retarder l'acceptation de l'inéluctable.

Mais ce faux-semblant s'avère aussi une prison l'enfermant dans la sur-présence obsédante du passé et de “ses“ absents, dont elle va traquer la silhouette chez d'autres enfants… Là encore, le refus de la perte expose à un vertigineux abandon de sa propre personne — accentué par l'omniprésence des simulacres (enregistrements, photos etc.) entretenant une permanence illusoire et délétère des défunts. Carpe diem se conjugue au présent, pas avec des fleurs séchées, ni numérisées…

★★★★☆ Boîte noire
Un film de Yann Gozlan (Fr, 2h09) avec Pierre Niney, Lou de Laâge, André Dussollier…

★★★★☆ Serre Moi Fort 
 Un film de Mathieu Amalric ​(Fr,  1h37)  avec Vicky Krieps, Arieh Worthalter…


<< article précédent
Karavel, 15e édition pour le festival de danse hip-hop