Skylight, bataille rangée

Les acteurs ne peuvent pas tout. Si bons et engagés soient Patrick Catalifo et Marie Vialle dans la dernière création de Claudia Stavisky, Skylight, ils ne parviennent pas à gommer le simplisme du texte de David Hare.


« T'aurais pu réussir comme moi » lui lance-t-il au visage, le mépris en bandoulière qui ne le quittera pas. Tom, costard-cravate, la cinquantaine, vient de faire irruption chez Kira, vingt ans de moins. Durant six ans, elle fut son amante avant que l'épouse officielle — désormais défunte — du premier, amie de la seconde, ne découvre tout. Ils ne se  sont pas revus depuis. Elle était serveuse puis gérante dans l'un de ses nombreux restaurants, la voici devenue prof auprès des gosses difficiles d'une banlieue londonienne. Elle aime écouter les gens dans son long trajet quotidien en bus pour prendre le pouls de la société post-thatchérienne ; lui s'énerve que ses nouveaux collègues, ces « petits cons formés en école de commerce », portent une Rolex. À chacun sa sensibilité.

Jamais l'auteur David Hare ne cite l'ancienne Dame de fer dans ce texte dont la première a eu lieu en 1995 au National Theater de Londres, cinq ans après qu'elle a quitté le pouvoir. À cette époque, l'écrivain a perdu de sa verve passée, sa radicalité s'est émoussée. En 1970, il créé Slag (où il dit son scandale de la misogynie qui règne dans le théâtre) en mode agit-prop, et même si les sujets politiques l'intéressent toujours, il les trempe dans une comédie de mœurs plus fade comme dans sa trilogie (Racing Demon, Murmuring Judges et The Absence of War) où il affronte l'Église, la Justice et le parti travailliste. Les intentions sont bonnes mais se diluent parfois dans la caricature comme c'est le cas dans L'Absence de guerre sur la subordination des partis politiques aux médias.

Skylight naît dans la foulée et n'a pas la force qu'aura plus tard Stuff Happens, théâtre documentaire et verbatim de l'immédiat après 11–septembre (ah, le discours de Villepin et les tergiversations de Condoleeza Rice !). Dans la pièce qu'a choisi de monter Claudia Stavisky, après l'avoir fait en Chine il y a deux ans avec une autre distribution, David Hare se contente de réaffirmer ses colères mais ne les arrime plus à rien, sinon des poncifs. S'il nous rend le personnage féminin plus empathique que l'autre,  il ne lui rend pas service non plus. À Tom qui lui dit ne pas comprendre qu'elle n'ait pas la télé, elle répond que les infos l'énervent et qu'elle préfère lire des classiques !

Binaire

La directrice des Célestins peut bien — avec sa scénographe — charger le décor de ce modeste appartement sans murs, répondre aux didascalies hyper réalistes de l'auteur (Kyra cuisine des spaghettis en même temps qu'elle parle), elle laissent les comédiens — très solides Marie Vialle et Patrick Catalifo — bien seuls. Ils endossent la totalité du travail au point qu'ils se concentrent presque trop sur le moindre déplacement. Sacha Ribeiro, qui joue le fils de Tom, a la lourde tâche d'entamer et clore ce huis-clos. Il le fait avec bravoure mais c'est dans sa prochaine création Œuvrer son cri (aux Célestins, en janvier) qu'il nous tarde de le retrouver ou, le même mois au même endroit, avec sa complice Alice Vannier (dans les excellents En réalités et 5 4 3 2 1 j'existe).

Alors, bien sûr, dans ce Skylight figurent aussi la dénonciation bien sentie de cette si infecte formule « créer de la richesse », l'évocation de ces boulots « que personne ne veut faire », les quelques notes musicales de Mélanie de Biasio bien placées. Mais Hare n'a pas là le regard acide et sans concession sur sa nation que bien de ses compatriotes maîtrisent comme Dennis Kelly, David Harrower (dont Claudia Stavisky avait efficacement monté le Blackbird) ou encore Alexander Zeldin et son bouleversant Love qui sera enfin aux Célestins dans quelques jours (du 6 au 10 octobre).

Skylight
Aux Célestins jusqu'au dimanche 3 octobre


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