Elle, il et nous au 7e ciel

Dans son petit cabaret, Johanny Bert, auteur, chanteur, marionnettiste, metteur en scène fait souffler un vent de liberté incroyable grâce à sa figurine queer en mousse. Intelligent, tendre, drôle, follement enthousiasmant, Hen est aux Célestins et c'est une merveille de spectacle.


Mais qu'est-ce donc que Hen ? Ça commence par une intro musicale avec le duo violoncelle-clavier-batterie par Guillaume Bongiraud et Cyrille Froger. Puis apparait une jeune femme de mousse, un peu diva, les seins bien galbés : « je veux être aimée pour moi-même et non pas pour mes ornements ». Les fans y reconnaitront les mots de Brigitte Fontaine. Pour ceux que la chanteuse hérisse, oublier que c'est elle et écouter Hen, trans, un demi-mètre de mousse, qui livre un véritable concert en mode cabaret, changeant à seize reprises de tenues et de corps, tantôt masculin, tantôt féminin, durant les 75 minutes de show. Différentes autrices et auteurs lui ont confié leurs mots (Marie Nimier, Gwendoline Soublin, Alexis Morel…) et la variation sur le il et le elle (« est-elle elle ? est-il il ? », déclinaison sur ce qui « luit et ce qui veille ») donne le ton : résolument tendre et infiniment humain.

Bien sûr, résonne intérieurement l'introduction du "iel" dans le Robert qui a fait couler l'encre des réac' ces dernières semaines mais Johanny Bert, 41 ans, ne répond pas là à ce débat. Il a créé Hen (dites "heune" pour bien prononcer ce pronom non genré de la langue suédoise) au festival d'Avignon 2019, à la fois pour faire un spectacle que ses parents (assez éloignés du milieu théâtral et peu au fait des questions de genres) puissent voir, et parce que dans un reportage lors des Manifs (prétendument) pour tous une passante déclarait avec condescendance qu'il fallait « soigner les gays de leur maladie ». La bande-son passe, comme quelques rappels bienvenus : la dépénalisation de l'homosexualité date en France de 1982.

« Je veux un genre utopique »

Jamais Hen ne se place au-dessus de quiconque. Avec tendresse, elle chantonne aux intolérants « bois mes règles » avec un écho de cathédrale, elle se dit qu'un « auriculaire pourrait faire l'affaire » avant de s'embarquer dans un tango du clitoris. Jamais trash ou pire, bêtement provoc', Johanny Bert s'amuse avec cette marionnette nous expliquant qu'elle a deux gardes du corps la suivant en permanence – ses manipulateurs dont le metteur en scène lui donnant sa voix, d'homme donc.

Puisque si elle sortait dans la rue, elle ne ferait pas dix mètres sans être agressée, Hen s'épanouit au théâtre et son créateur aussi — qui rend ainsi la plus belle ode qui soit à la liberté que permet l'art du théâtre et de la marionnette. Formé sur le tas depuis sa Haute-Loire natale, sans passer par les écoles supérieures, Johanny Bert, qui fut jeune directeur du CDN de Montluçon (trois ans seulement : ça lui ôtait trop de temps de création artistique), excelle dans tous les projets disparates qu'il mène.

Il avait su émouvoir avec des marionnettes de post-it (Post-it, 2005) ou rendre vie à un gosse abimé dans l'enfance (Le Goret). C'est lui aussi qui cassait les stéréotypes de genres dans un spectacle fameux pour enfants qui a beaucoup tourné notamment dans les écoles, Elle pas princesse, moi pas héros écrit par l'une des meilleures autrices actuelles, Magali Mougel. Travailler hors des théâtres lui plait. C'est ainsi qu'il a adapté ces derniers mois, pour les lycées, Le Processus de Catherine Verlaguet, solo d'une ado de 15 ans qui choisit d'avorter. Là encore, c'est un travail simple, direct, infiniment juste et doux qu'il livre à des lycéens remués, passionnés et qui ont réclamé de pouvoir montrer cette proposition à leurs parents. Ainsi sera montée une forme pour la salle au Théâtre de la Croix-Rousse mi-janvier, auquel il est associé pour plusieurs saisons. Il en va de Johanny Bert comme de ses spectacles : modeste et percutant. Cet énorme travailleur ne cesse de rendre accessible au plus grand nombre des sujets fondamentaux et rarement aussi malmenés dans la société actuelle. C'est un cadeau.

Hen
Aux Célestins jusqu'au dimanche 26 décembre

Le Processus
Au Théâtre de la Croix-Rousse du jeudi 13 au samedi 15 janvier


<< article précédent
Lyon : les cinémas soldent leurs affiches