Claudia Stavisky, d'un Goldoni l'autre

En ouvrant la saison avec La Trilogie de la villégiature, Claudia Stavisky signe sa dernière mise en scène en tant que co-directrice du théâtre des Célestins où elle était arrivée en 2000 et qu'elle quittera d'ici l'été prochain. Entretien.


Votre première mise en scène en arrivant aux Célestins était La Locandiera. Pourquoi revenir à Goldoni ?

Claudia Stavisky. C'est toujours un peu inconscient. Je cherchais une œuvre populaire, grand public, une comédie avec une profondeur, quelque chose qui fasse du bien - la période étant extrêmement difficile pour tout le monde. J'adore Skylight [NDLR, pièce montée il y a un an] mais c'est une pièce dure. Et là j'ai envie d'un peu de douceur. Du divertissement au sens premier du terme « divertir ». Je me suis décidée pour cette Trilogie et c'est seulement après que je me suis rendue compte que c'était un Goldoni et que j'avais commencé avec ça.

La pièce dure 3h20. Vous vouliez une pièce fleuve pour proposer au public qui a du mal à revenir en salle une véritable saga ?

Non mais je voulais un grand plateau, une troupe [NDLR, il y a 13 acteurs et actrices]. Quelque chose de très fédérateur, une pièce chorale où il n'y est ni grand ni petit rôle mais un rôle pour chacun. J'ai travaillé presque un an pour faire des coupes.

La Locandiera était en costumes d'époque (le XVIIIe siècle). Pourquoi avoir transposé cette trilogie dans les années 1950 ?

Je me suis demandée ce qui était le plus proche de nous dans le genre de changement civilisationnel total. Evidemment on ne peut pas situer la pièce aujourd'hui avec les ordinateurs, les portables. L'intrigue-même n'existerait pas. Les années 50 en Europe, c'est juste l'après-guerre où les gens sortent d'un traumatisme absolument essentiel et reconstruisent à tout-va et imaginent une idée de l'avenir. C'est les Trente Glorieuses, l'argent commencent à couler. Les gens, qui depuis 1936 avaient les congés payés, veulent massivement à en profiter ; une classe nouvelle (la classe moyenne) équivalente à celle de 1760 (la petite bourgeoisie) émerge et veut copier les bourgeois.

Durant les répétitions, votre fidèle scénographe Christian Fenouillat est décédé subitement à 70 ans. Qu'a-t-il apporté à cette Trilogie ?

Il a pensé à un espace subissement abstrait pour que ça permette à chaque spectateur d'imaginer ce qu'il veut sur le plateau et que ce soit suffisamment concret pour me donner des points d'appui. Mais cette fois-ci on est allé dans une version encore plus radicale : on a décidé de représenter les deux maisons du texte par une seule chaise jusqu'à la moitie du 2e acte. La lumière, la vidéo et les costumes font tout. Ce travail et devenu un hommage à Christian qui était mon fabricant de rêve. On a commencé à travailler en 1992 ensemble. C'est une perte immense.

Il y a une grande distribution féminine dans cette Trilogie (Christiane Cohendy, Savannah Rol, Anne de Boissy…, vous avez mis en scène de grands rôles féminins dans les pièces de Schimmelpfennig (La Femme d'avant), David Harrower (Blackbird), Comencini (Double jeux)… Est-ce que vous y avez porté une attention particulière durant ces 22 ans ?

C'est sûr. Si on regarde la presque totalité de ce que j'ai fait, sauf à de rares exceptions comme La Vie de Galilée, ça concerne toujours l'histoire de femmes transgressives, subversives, qui se battent dans la société contre la place qui leur est assignée et la nécessité qu'elles ont à vivre. Dans la Trilogie, c'est exponentiel. C'est finalement l'histoire de femmes qui luttent contre le canon moral de leur époque.

Votre métier a-t-il beaucoup changé en 20 ans ?

Enormément. Dans la nature, la recherche de productions. C'est plus compliqué. Pour les jeunes, aujourd'hui démarrer de zéro, sans famille derrière, je ne vois vraiment pas comment on peut faire.

Et puis j'ai hérité d'un dinosaure avec les Célestins et l'inadéquation totale de notre statut en régie directe. Mais les changements en 20 ans sont positifs. Il y a beaucoup plus de jeunes spectateurs qu'avant. Quand je suis arrivée, il y avait encore des spectateurs qui héritaient d'un abonnement et de places attitrées qui se transmettaient ! Après, c'était le premier arrivé, le premier servi, comme partout, comme chez le boucher aussi. Il y eu des révoltes, les gens me disaient que je n'avais pas le droit de faire ça, que leur père leur avait légué leur fauteuil ! En même temps l'importance que ce théâtre avait pour certains était très beau. Un jour quand j'aurai le temps, je ferai la biographie de ces années-là.

Avez-vous un souvenir, une fierté particulière qui vous revient ?

C'est encore trop tôt, je n'ai pas encore la distance. Il y a des spectacles qui m'ont marquée. Le Songe d'une nuit d'été à Fourvière, La Femme d'avant de Schimmelpfennig, Galilée ou Blackbird. Je suis vraiment heureuse de les avoir faits. Surtout je suis profondément fière d'avoir été la première femme artiste nommée à un poste de direction d'un théâtre de création [par Raymond Barre et son adjoint à la Culture Denis Trouxe]. Il n'y avait personne sauf peut-être dans les scènes nationales. Je me suis battue pour démontrer que je pouvais à la fois changer des couches et diriger un théâtre. L'époque a changé. Y'a pas de comparaison.

La Trilogie de la villégiature aux Célestins, du 20 septembre au 8 octobre.


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