Tindersticks : le grain de l'ivresse

Indispensable formation anglaise à la trajectoire sinueuse, les Tindersticks de Stuart Staples fêtent leurs trente ans avec une tournée qui passe par le Radiant et une compilation rétrospective superbement baptisé Past Imperfect. Indispensable, sauf si on a tous les albums. 


Voilà trente ans que les Tindersticks trimballent leur dégaine usée et leurs hymnes éreintés dans le paysage indie. Anniversaire fêté discrètement par les intéressés (on ne se refait pas) mais avec tambours, trompettes et nappées de violons dingues (idem). Tout commence donc en 1992 mais c'est en 1993 avec City Sickness, publié en éclaireur d'un premier album fiévreux et quelque peu bancal qui sera pourtant désigné disque de l'année par le Melody Maker, alors institution british découvreuse de talents.

Ce « mal de ville » qui tourbillonne de violons automnaux et titube dans la bouche maltée de Stuart Staples, crooner délavé comme on n'en faisait pas encore, pose les bases de l'esthétique tinderstickienne : une sorte de panache rentrée, de flamboyance malhabile, de mal de vivre épique et atonal pour western à gueule de bois – pour s'en faire une idée très précise et très vivante, se jeter sur le Live at the Bloomsbury Theatre de 1995. Quelque chose d'infiniment cinématographique, tant et si bien que la cinéaste Claire Denis fera du groupe son détaillant en BO à partir de 1996. C'est aussi City Sickness qui ouvre le double vinyle valant rétrospective de ces trois décennies.

Amour et Acharnement

Un best-of coupé en deux en 2003 après l'album Waiting for the Moon – on retrouve dans cette première partie les sublimes duos Travelling Light avec Carla Torgerson de The Walkabouts et Sometimes it hurts avec la regrettée Lhasa et ne manque qu'A Marriage Made in Heaven, avec Isabella Rossellini, disponible sur la compilation Donkeys (1997)). Le groupe se sépare alors et se reforme trois ans plus tard en format réduit et sans Dickon Hinchliffe, membre fondateur, et livre des albums moins grandiloquents, moins soul que Can our Love et Waiting for the Moon et moins saouls, moins tourmenté, où les comptines prennent le pas sur le comptage d'abattis, et la patte Staples sur les emballages d'Hinchliffe.

On reprochera à la chose de n'être pas assez généreuse sur certains albums (Curtains) mais elle a le mérite de représenter les inflexions subtiles dans la trajectoire du groupe, autant que ses humeurs. Et de sublimer une constante : le grain inimitable et comme inconsolable de Stuart Staples, l'un des interprètes les plus fascinants (et les plus follement classe) de ces trente dernières années. Lequel a toujours réussi un tour de force : combiner une impression d'ivresse dont on ne revient pas et de lucidité absolue. C'est encore le cas sur le titre inédit – BO du dernier Claire Denis, Avec Amour et Acharnement – qui clôt cette rétrospective, le bien nommé et lancinant Both sides of the blades. Où la montée de cuite et la gueule de bois ne font qu'un.

Tindersticks, Past Imperfect – The Best of Tindersticks '92 - '21 (City Slang)
Au Radiant-Bellevue à Caluire le mercredi 12 octobre


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