L'humanité satellisée de Meirieu

Bricoler des monuments aux oubliés : Emmanuel Meirieu s'y astreint depuis des années et si, à force de creuser ce sillon, l'émotion se fait moins dense qu'à ses débuts, son propos, toujours plus soigné, force le respect. Bienvenue dans l'espace avec Dark was the night.


En 1977, un petit garçon français de 7 ans dépose sa voix parmi une cinquantaine d'autres, dans autant de langues, pour dire bonjour aux extra-terrestres. Elle est gravée sur un disque d'or qui contient aussi 118 photos  (beaucoup d'arbres), des sons de la Terre et des chansons dont celle du bluesman américain Blind Willie Johnson, Dark was the night, cold was the ground.

Cet objet, fixé aux parois de la sonde spatiale Voyager 2, est lancé dans l'espace interstellaire par la NASA. Objectif : témoigner de ce qui se passe ici-bas. C'est dans ce récit qu'Emmanuel Meirieu fait surgir la fiction et reboucle avec ce qui l'anime depuis ses débuts en 1998 : donner la parole aux oubliés. Ainsi ce petit garçon et ce chanteur, mais aussi la femme (elles sont peu nombreuses chez Meirieu) qui a récolté des enregistrements pour raconter l'histoire du monde, vont se succéder sur le splendide décor (comme toujours) de Seymour Laval : une Terre accidentée et boisée qui recèle les cadavres de ceux  qui n'avaient pas droit aux sépultures et de colonies d'abeilles en phase d'extinction.

Cette boucle, c'est aussi celle d'Emmanuel Meirieu qui revient à l'écriture l'ayant vu modeler à vingt ans, brillamment, des contes d'enfants (Alice au pays des horreurs, Peter, Pan !, La Petite Fille au chalumeau).

« Bonjour les extra-terrestres, est-ce que vous viendrez me voir un jour ? »

Les uns après les autres, sans dialoguer, ses fidèles Stéphane Balmino, François Cottrelle, Jean-Erns Marie-Louise, dans des temporalités différentes, vont témoigner de la déliquescence de notre monde sans que l'espoir ne s'évanouisse puisqu'il y aura toujours, dans le travail du metteur en scène, des humains pour rendre, coûte que coûte, leur dignité aux disparus — ici un homme qui cherche avec de maigres outils (une sonde, de la Rubalise sur un terrain immense…) un mort, en l'occurrence Blind Willie Johnson, « le premier Noir à être allé dans l'espace », décédé prématurément dans une grande misère.

La lutte des classes traverse les sujets d'Emmanuel Meirieu en permanence, de Mon traître à La Fin de l'Homme rouge en passant par Les Naufragés. Il se heurte parfois lui-même à sa volonté réaffirmée d'aller « à la brûlure de l'émotion » comme il l'a fait avec Des hommes en devenir où l'on sent la douleur d'un pansement retiré d'une peau meurtrie. Dans Dark was the night, l'évocation de la maladie de Charcot charge un propos qui n'est jamais si fort que lorsqu'il tutoie l'enfance ; que ce soit dans la vidéo inaugurale, projetée sur un dessin enfantin, dans la fabrication d'une fusée de pacotille, Emmanuel Meirieu parvient à faire croire à un horizon possible hors de la Terre. Aussi jubilatoire que désespéré.

Dark was the night
Au théâtre de Vénissieux le vendredi 2 décembre
Aux Célestins du 31 janvier au 4 février


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