Mardi 11 avril 2023 Il n’y a toujours pas de supermarché ou de snack à la place de feu le CNP Odéon comme c’est le cas à quelques mètres de là, à la place de feu le cinéma Ambiance. Dix années que le théâtre de la Comédie Odéon résiste, dont les sept portées par son...
Photo : Mario Del Curto
Mon traître
Radiant-Bellevue
ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement
Il est des auteurs qui arrivent presque par enchantement dans l'univers d'un metteur en scène. C'est le cas de Sorj Chalandon, qui a croisé la route d'Emmanuel Meirieu avec "Mon traître" et "Retour à Killybegs", deux splendides romans devenus un puissant spectacle de théâtre. Nadja Pobel
«Quand j'ai refermé Mon traître, j'ai tout de suite demandé les droits de traduction !» plaisante encore Emmanuel Meirieu. Il faut dire que jusqu'ici, le metteur en scène lyonnais n'avait adapté que des auteurs anglophones (Joe Connelly, Russell Banks, Jez Butterworth), non par anti-patriotisme primaire, plutôt parce que ces écrivains ont inventé des personnages simples et tendres comme il les affectionne. C'est Loïc Varraut, son complice, co-directeur de sa compagnie Bloc opératoire qui lui a mis les textes de Sorj Chalandon entre les mains.
Chalandon, qui vient d'obtenir le Goncourt des lycéens avec un bonheur contagieux pour Le Quatrième mur, a publié en 2008 et 2011 deux romans remuants qui fonctionnent en diptyque : Mon traître, qui relate la vie d'un petit luthier parisien qui se prend d'amour pour l'Irlande du Nord, le combat des catholiques de l'IRA et de leur icône Tyron Meehan, et Retour à Killybegs, miroir du premier ouvrage dans lequel Tyrone Meehan prend la parole pour dire son histoire familiale, celle de son pays, pourquoi on combat, comment on trahit. Le tout est un grand décalque de la réalité : le luthier est un avatar de l'auteur lui-même, tombé en Irlande comme on tombe en amour, journaliste et grand reporter pour Libération dans les années 80 (couronné du prestigieux prix Albert Londres) et ami de ce Tyron Meehan, prête-nom pour Denis Donaldson, figure emblématique du Sinn Fein et de l'armée républicaine irlandaise qui avoua fin 2005 avoir été une taupe pour le MI5 britannique. Il sera "logiquement" assassiné peu après, le 4 avril 2006.
Avec ce récit bouleversant, épique et réel, Emmanuel Meirieu a trouvé une extraordinaire matière de théâtre qui lui permet de prolonger sa précédente création De beaux lendemains : «J'avais envie d'un deuxième opus dans cette veine». Soit des monologues qui racontent le deuil impossible, celui de quatorze enfants tués dans un accident de bus chez Banks, celui de la trahison chez Chalandon.
Chimères amères
«Une princesse et son prince vivaient heureux dans leur château. À la naissance de leur premier enfant, les pierres de la tour se mirent à tomber. Au deuxième enfant, elles tombèrent plus encore. Et plus la famille s'agrandissait, plus la tour s'écroulait. Le prince partit, et la princesse mourut, écrasée par un bloc de pierre. Alors les enfants se transformèrent en corbeaux» dit un enfant en introduction de Mon traître. Et nous voilà dans la pleine continuité du travail d'Emmanuel Meirieu, qui avait commencé en 1999 par adapter des contes "cruels" (Peter Pan !, Alice au pays des horreurs et La Petite Fille au chalumeau) avec le goût de la provocation inhérent à ses 23 ans. «Dans les contes il y a de la grâce et des enfances abîmées, meurtries. Il y a aussi des monologues et de la musique», exactement comme aujourd'hui dans Mon traître, où se succèdent la parole du luthier, de Jack, le fils de Tyrone, et de Tyrone, une dernière fois ressuscité par le talent et l'engagement total du comédien Jean-Marc Avocat. Comment expliquer cette solide cohérence tout au long de son parcours de metteur en scène avec des textes très différents ? «Je ne suis pas un auteur, affirme Meirieu, sauf pour la trilogie des Chimères amères, mais le fait d'adapter les textes que je monte fait que j'y mets beaucoup de moi. Mon traître a été beaucoup plus difficile à adapter que De beaux lendemains. Il y avait deux romans, soit 120 000 mots dont il n'en reste que 6 000, cent ans de la vie d'un pays, quarante ans de la vie d'un homme. Je n'ai pas effacé de grands pans des livres d'un coup, mais j'ai – avec Loïc Varraut – élagué phrase par phrase. C'était une affaire d'équilibrisme, comme construire une Tour Eiffel en allumettes : le moindre mot enlevé pouvait faire s'effondrer l'ensemble». Après trente à quarante versions, voici donc un digest d'une heure dix qui a fait fondre en larmes Chalandon lui-même dès la création en avril dernier à Vidy-Lausanne.
Sur un fil
Les comédiens ont pour matériel essentiellement ces mots, choisis patiemment, chuchotés, aimés, sanglotés dans la boite noire du théâtre. Là, sans faire de leçon de vie ou de morale, Meirieu dit «arriver avec de l'humanité brute. J'ai une totale empathie avec mes personnages. Je veux les magnifier, les sublimer.» «Bobby Sands (NdlR : le prisonnier irlandais que Thatcher a laissé mourir de faim comme neuf autres après lui) est un héros, Donaldson un traître, mais ce sont pour moi deux martyrs pour une même cause. J'ai voulu transformer des héros et anti-héros en hommes» dit-il encore, avant de reconnaître qu'il n'a pas vécu cette trahison : «c'est un luxe de ne pas avoir de colère contre Tyrone» comme celle longtemps éprouvée par Chalandon et depuis apaisée. «Désormais, Tyrone a le visage de Jean-Marc Avocat» confiait l'écrivain lors d'une rencontre avec le public aux Bouffes du Nord à Paris, où se jouait la pièce en décembre dernier, comme délesté enfin de cette sidérante histoire. Dès l'an prochain, Meirieu continuera lui à explorer les rapports masculins avec l'adaptation de Birdy de William Wharton, créée chez celle qu'il aime depuis l'enfance et qui le lui rend bien en le considérant comme un des meilleurs metteurs en scène de sa jeune génération : au Théâtre de la Criée à Marseille, dirigé par Macha Makeïeff.
Mon traître
Au Radiant, samedi 11 janvier
à lire aussi
vous serez sans doute intéressé par...
Mardi 31 janvier 2023 Philippe Vincent et David Mambouch questionnent ce qui nous précipitent vers la fin dans une création qui voir le jour au Théâtre de La Renaissance, La Fin de l'Humanité.
Mardi 29 novembre 2022 Bricoler des monuments aux oubliés : Emmanuel Meirieu s’y astreint depuis des années et si, à force de creuser ce sillon, l’émotion se fait moins dense qu’à ses débuts, son propos, toujours plus soigné, force le respect. Bienvenue dans l’espace avec...
Mardi 1 mars 2022 En 1987 à Lyon, Sorj Chalandon couvre pour Libération le procès Barbie. Dans les travées du public, son père, menteur, maltraitant. Dans Enfant de salaud, publié en septembre dernier, l'écrivain mêle avec rigueur, intelligence et une immense...
Mardi 1 mars 2022 On l'entend tellement à toutes les sauces dans le sabir libéralo-financiaro-managérial qu'il est heureux que la littérature et ici La Fête du Livre de (...)
Jeudi 15 juillet 2021 Entre introspection et rétrospection, Jean-Pierre Améris s'approprie le roman autobiographique de Sorj Chalandon racontant une enfance face à un père mythomane. Une œuvre grave, complexe et cathartique, dominée par un Benoît Poelvoorde bipolaire...
Vendredi 11 juin 2021 Un retour aux sources double, triple, quadruple même pour la première avant-première proposée par le Pathé Bellecour le vendredi 18 juin à 19h45, Profession (...)
Mercredi 9 septembre 2020 Laurent Wauquiez est passé à deux doigts de se remettre l'ensemble du monde culturel à dos. Il est retombé lundi, à peu près, sur ses pattes. Mais comment a-t-il fait pour glisser ainsi sur une peau de banane, après des semaines de mesures...
Mardi 5 juin 2018 Nouvelle agora et décor à couper le souffle : Emmanuel Meirieu adapte Les Naufragés de Patrick Declerck qui a écouté, soigné, pansé les clochards que la société efface. Spectacle hors normes.
Mardi 13 mars 2018 Le festival Nuits de Fourvière vient de dévoiler l'ensemble de sa programmation, toujours très attendue : et c'est un bon cru. On note le retour de la danse, la présence de Mourad Merzouki en ouverture, une programmation théâtre de qualité et côté...
Mardi 10 octobre 2017 Il trace un sillon de plus en plus fin dans le théâtre contemporain. Emmanuel Meirieu revient là où il y a presque vingt ans il dézinguait les contes avec Les Chimères amères. Des hommes en devenir lui ressemble. Les fêlures de ses personnages se...
Mardi 5 septembre 2017 Au vu des programmations hétéroclites (trop) touffues et qui confèrent aux différents théâtres des identités de plus en plus floues, émerge une vague de trentenaires qui, au travers de faits historiques, ou simplement d’histoires d’aujourd’hui,...
Mercredi 18 novembre 2015 Dans "Profession du père", Sorj Chalandon donne le premier rôle à son paternel dément et montre à quel point celui-ci a irradié ses six précédents ouvrages. Et, revenant dans la ville de son enfance, Lyon, plonge dans ses racines avec drôlerie et...
Mardi 8 septembre 2015 Si vous les avez raté, un rattrapage s’impose. D'abord Bigre! (Croix-Rousse, 29 septembre au 3 octobre), hilarante comédie sans (...)
Mardi 31 mars 2015 Il rêvait de voler. Mais loin de lui donner des ailes, ce désir a mené Birdy dans un hôpital psychiatrique où son ami lui raconte leurs souvenirs d'enfance pour le ramener à lui. A partir du roman de William Wharton, Emmanuel Meirieu produit à...
Mardi 14 octobre 2014 Emmanuel Meirieu revient dans le théâtre de ses débuts, la Croix-Rousse, présenter sa dernière création en date, "Mon traître". Un travail court, ciselé et percutant, adapté de deux livres de Sorj Chalandon. Critique et propos – émerveillés - de...
Mardi 9 septembre 2014 Ils sont jeunes, misent sur l’acteur et adaptent des textes peu théâtraux. Ils font pourtant bel et bien du théâtre, avec un engagement total, signant des spectacles remuants et intelligents. Balade dans une saison marquée du sceau de cette...
Mardi 20 mai 2014 «La vérité est ailleurs». C'est ce que semble nous dire par sa puissance iconique la soucoupe volante qui survole l'affiche de la huitième édition des Assises (...)
Mardi 11 février 2014 Grands reporters à Libé (le journal, pas le showroom de Philippe Starck) dans les années 80, un peu avant, un peu après, Sorj Chalandon et Jean Hatzfeld sont (...)
Vendredi 3 janvier 2014 Et si on misait sur la relève en ce début d’année ? Les grands noms du théâtre auront beau être à Lyon tout au long des six mois à venir, c’est en effet du côté des jeunes que nos yeux se tourneront prioritairement.
Nadja Pobel
Vendredi 27 septembre 2013 Et si on tenait là le Goncourt 2013 ? Encore faudrait-il pour cela que Sorj Chalandon figure toujours dans la deuxième liste de ce précieux prix, qu’on ne (...)
Mardi 10 septembre 2013 Sélection réalisée par Nadja Pobel, Benjamin Mialot et Aurélien Martinez
Vendredi 6 septembre 2013 Sorj Chalandon (élève au lycée Jean Moulin à Lyon dans sa jeunesse) figure parmi sur la liste des 15 écrivains goncourables cette année pour son roman Le (...)
Mercredi 4 septembre 2013 C'est tel un Monsieur Loyal qui aurait emprunté sa chevelure à Krusty le Clown que le sémillant Victor Bosch a, en juin dernier, lancé la saison 2013/2014 du (...)
Mardi 3 septembre 2013 Avec Balises, opération visant à rendre plus lisible l'offre théâtrale lyonnaise, une idée simple mais forte va balayer la saison 2013/14 : il y a du spectacle vivant partout. Explication.
Nadja Pobel
Mercredi 5 mars 2008 La création d'Emmanuel Meirieu, on l'attendait depuis un moment. Finalement, le metteur en scène a choisi de présenter American Buffalo, de David Mamet.
Propos recueillis par Dorotée Aznar