Solution aqueuse

Avec Les Poumons pleins d'eau, la Lyonnaise Jeanne Beltane livre un singulier premier roman explorant la figure du père et auscultant la question (métaphysique) du deuil et de la perte. En tentant de répondre à une question : où vont les personnes qu'on a aimées et perdues ? 


C'est un vieux cliché bien ancré que de considérer que la littérature soigne, le lecteur comme l'auteur. Qu'elle soigne même le lecteur des maux de l'auteur. Sans doute parce que derrière ce cliché trône la vérité. Il suffit de lire Jeanne Beltane pour s'en re-persuader. En 2020, la jeune autrice lyonnaise avait signé un ouvrage singulier (auto-édité), baptisé Une Forêt, avec la photographe Marion Bornaz, qui loin de se consacrer à la vie des arbres, évoquait la survie des vivants, et notamment de son autrice, rescapée du Bataclan et confrontée au deuil familial. Une sorte de journal intime illustré qui sublimait et apaisait la douleur.

Et lors de la rentrée littéraire dernière, Jeanne Beltane livrait Les Poumons plein d'eau, émouvante conjuration du deuil, né, d'une certaine façon d'un concours de circonstances. Lorsque Richard Gaitet, remarquable Monsieur Loyal du fabuleux podcast littéraire Bookmakers (Arte Radio) lançait un concours d'écriture avec la complicité du Goncourisé Nicolas Mathieu, Jeanne Beltane envoyait une drôle de nouvelle sur un type suicidé réincarné en poisson. Et emportait la mise. Une éditrice remarquait ladite nouvelle et encourageait Jeanne à en livrer une version plus longue qui donne ce roman à plusieurs voix.

Milieux liquides

Il y a celle de Claire, dont le père s'est suicidé et qui se débat avec son deuil et les souvenirs de ce paternel excessif en tout (casse-cou, alcoolique, peu enclin à la concession, pas forcément dans cet ordre). Il y a le monologue du père, réincarné en épinoche (c'est un poisson) et coincé dans un bocal suite à une dispersion de cendres qui a quelque peu dégénéré. Et il y a la vie onirique de Claire qui fait le lien entre ces deux réalités et les invite à se rejoindre, on ne dira pas comment.

Inutile de dire que la chose est singulière, qui questionne la mort (et la vie) par à peu près toutes les faces possibles quand le deuil se transforme en parcours initiatique à la recherche des mystères du père, de l'infiniment petit (l'intime) à l'infiniment grand (les croyances). Jusqu'à la métempsycose en milieu(x) liquide(s) qui vaut évidemment renaissance. Avec en tête la question qui traverse toute personne endeuillée : que devient l'essence, l'âme, ce qui faisait la personnalité d'un disparu ? Un peu déroutant, définitivement barré, Les Poumons pleins d'eau se réincarne en une magnifique adresse au père disparu (il y a de l'autobiographie dans ce roman). Et transforme la résilience – thématique à gros sabots, généralement – en un beau geste littéraire. C'est au fond cela qui compte le plus.

Jeanne Beltane, Les Poumons pleins d'eau (Equateurs)


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