Rebelles, rebelles…

N'en déplaise au regretté Chris Marker, le fond de l'air est plus jaune que rouge, preuve que les idéologies sont bien lessivées Et sur les écrans flotte comme un doux vent de révolte…


Si les arbres cette année n'ont pas attendu le printemps pour reverdir, les rues continuent à jaunir et vrombir depuis la fin de l'automne : la foule qui les arpente a les abeilles — et des gilets de la même couleur. Une révolution ? Non, un magma de lassitudes cristallisées trouvant de singuliers échos dans les films à l'affiche ce mois : que d'écorchés ; que de révoltés ! L'odieux paradoxe, c'est que sans malheur pour motiver la contestation, il n'y a souvent pas de (bonne) histoire…

Du vécu

Et quel meilleur filon que le réel pour les cinéastes en quête d'un sujet solide ? À elles et à eux de choisir comment en restituer le minerai : de manière brute ou raffinée. Parce qu'elle se revendique  en prise directe avec ledit réel — ce qui ne l'empêche pas d'être écrite ni scénarisée —, la veine documentaire est privilégiée pour réfléchir passé comme présent. Comme en écho à Grâce à Dieu, Yolande Zauberman s'attache dans M (20 mars) au parcours de Menahem, ancien enfant-chanteur ayant été abusé sexuellement par plusieurs membres de sa yeshiva. Entre élégie et résilience, cette immersion dans le quartier ultra-orthodoxe d'Israël prouve qu'il y a encore des tabous et de l'obscurantisme à briser, mais qu'une nouvelle génération semble disposée à faire le ménage parmi les brebis galeuses et vivre sa foi avec son temps.

Ontologiquement rebelles, les artistes s'accommodent très différemment de leur révoltes intimes. Pour la chorégraphe Maguy Marin, elle se diffuse et se partage à travers une troupe et un engagement artistique, humain, social et politique ininterrompu de près d'un demi-siècle. C'est ce que montre son fils David Mambouch dans Maguy Marin : l'urgence d'agir (6 mars), portrait de groupe avec dame. Moins joyeux se révèle celui du couturier star des années 2000, Alexander McQueen. Sobrement titré McQueen (13 mars), construit à partir de précieuses archives et de témoignages récents de proches, ce documentaire biographique signé Ian Bonhôte et Peter Ettedgui a des airs de conte de fées rosse et féroce pour ce gamin du peuple peu avenant et complexé par son homosexualité. Précocement reconnu comme un génie, McQueen fut consumé par ses démons intérieurs et l'objet de son amour, la mode. Avec élégance et le sens de l'ornementation d'une vanité, ce film lui rend un hommage sincère, sans être aveuglément dévot.

De l'Histoire ancienne

Parfois, c'est un fragment entier de passé qui revient en boomerang, intact ou retravaillé, révélant la clairvoyance d'autrefois… ou les aveuglements de jadis. Deux documentaires prévus le 27 mars offrent cet édifiant voyage rétrospectif. D'abord avec La Section Anderson, reprise à l'identique d'un reportage de Pierre Schoendoerffer (avec un avant-propos de Pierre Desgraupes) tourné pour l'émission Cinq colonnes à la Une. Cette immersion pendant la guerre du Vietnam parmi une troupe US dirigée par un officier noir témoigne du saccage absurde d'un pays et du sacrifice inutile des boys. De l'autre côté du Rideau de fer, ce n'était guère mieux : le mythe stakhanoviste a condamné le Donbass à devenir la vitrine du productivisme soviétique effréné, avant que ce territoire ne retrouve son pavillon ukrainien… et la guerre civile. Dans La Cacophonie du Donbass, Igor Minaiev remet en mémoire quelques bases historiques avec une collection d'images d'archives étonnantes (ah, la propagande !), mais il montre aussi de quels terribles événements Sergei Loznitsa a pu s'inspirer pour son film à sketches Donbass. Malgré quelques effets tenant plus du maniérisme que de la nécessité de montage, cette Cacophonie est à voir.

Des fictions

Transposées du réel ou pas, les quelques fictions suivantes rappellent que les raisons de s'insurger au quotidien ne manquent pas. Dans Boy Erased (27 mars) le comédien-cinéaste Joel Edgerton  s'est entouré de Nicole Kidman et Russell Crowe pour dénoncer les “thérapies“ de conversion, stages sectaires prétendant “rectifier“ les orientations sexuelles des gays. Froid et glaçant. Quant à Wolfgang Fischer, il dépeint dans Styx (même date) l'effroyable dilemme d'une médecin navigant seule en Méditerranée, se retrouvant face à une embarcation de réfugiés en péril qu'elle ne peut sauver seule mais que le serment d'Hippocrate lui commande de secourir. Un cas de conscience aussi épouvantable que contagieux pour le public.

Étonnamment, le plus conventionnel du lot s'avère Rebelles (13 mars), comédie sociale aux allures de western made in Hauts-de-France, où un trio d'ouvrières s'empare du magot destiné à des caïds de la drogue et disperse son chef dans des boîtes de conserve, façon puzzle. Le réalisateur Allan Mauduit aurait gagné à creuser davantage vers Petits meurtres entre amis, son humour noir restant encore un peu pâle. Heureusement, il réunit Cécile de France, Yolande Moreau et Audrey Lamy à la fois belles et rebelles.


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Un trésor à Saint-Étienne