La voix est libre : "Grâce à Dieu"

Grâce à Dieu
De François Ozon (Fr, 2h17) avec Melvil Poupaud, Denis Ménochet...

Le Film de la Semaine / D’une affaire sordide saignant encore l’actualité de ses blessures, Ozon tire l’un de ses films les plus sobres et justes, explorant la douleur comme le mal sous des jours inattendus. Réalisation au cordeau, interprétation à l’avenant. En compétition à la Berlinale 2019.

Lyon, années 2010. Fervent chrétien de quarante ans, Alexandre découvre qu’un prêtre ayant abusé de lui lorsqu’il était jeune scout est encore au contact de mineurs. Il saisit donc la hiérarchie épiscopale et Mgr Barbarin afin que le religieux soit écarté. Un long combat contre l’hypocrisie, l’inertie et le secret s’engage, révélant publiquement un scandale moral de plusieurs décennies…

à lire aussi : Melvil Poupaud : « j’ai toujours visé le long terme plutôt que le succès immédiat »

Il faut en général une raison impérieuse pour qu’un cinéaste inscrive à sa filmographie une œuvre résonant avec l’Histoire immédiate. Surtout si l’originalité de son style, sa fantaisie naturelle et ses inspirations coutumières ont peu à voir avec la rigueur d’une thématique politique, sociétale ou judiciaire. De même que Guédiguian avait fait abstraction de son cosmos marseillais pour Le Promeneur du Champ de Mars, François Ozon pose son bagage onirique pour affronter un comportement pervers non imaginaire dans un film filant comme une évidence de la première image du trauma à la révélation. A-t-on déjà vu en France pareille écriture scénaristique, à la fois méthodique et limpide, dans l’adaptation d’un fait divers brûlant ? Rarement, pour ne pas dire jamais.

Peu importe pourquoi Ozon s’est lancé dans cette entreprise ; sa réussite est en tout cas patente. Parce que le film, d’une froideur clinique extrême, ne cherche jamais à romancer ni surdramatiser des faits avérés. Sans jeter toute l’Église avec l’eau du baptême, il dévoile des mécaniques obscènes visant à minorer le crime ou nier les victimes, et montre l’édification d’une résilience grâce à plusieurs voix se succédant. Alexandre, François, Emmanuel… trois évangiles dont les messages se complètent jusqu’à la vérité. Une approche on ne peut plus chrétienne, non ?

Procès dur

La tentative désespérée — désespérante d’un certain point de vue — des défenseurs du père Preynat, assignant en référé le cinéaste afin d’obtenir le report de la sortie du film au motif qu’il « portait atteinte à la présomption d’innocence de personnes (…) pas encore jugées », laisse songeur. François Ozon ne peut en effet guère être taxé de diffamation lorsque ses protagonistes font, par exemple, état de lettres dans lesquelles le père Preynat confesse ses actes pédophiles et demande pardon à ses victimes : Ozon se borne à citer des pièces du dossier, à recouper des sources et des témoignages notoires — grâce à la presse, et surtout au courageux travail abattu par l’association des victimes, La Parole Libérée.

Maîtres rhéteurs, sensibles au moindre atome du discours et aptes à relever ce qui contreviendrait à la loi, les avocats peuvent aussi entendre lorsqu’une parole heurte la morale — comme quand Philippe Barbarin évoquant l’affaire, avait lâché : « la majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits ». Et si leur conscience les avait incité à lancer cette procédure pour produire un effet Streisand ? Il n’est pas défendu de croire…

Grâce à Dieu de François Ozon (Fr, 2h17) avec Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mercredi 8 juillet 2020 Généalogie d’une histoire d’amour entre deux garçons à l’été 85 qui débouchera sur un crime. François Ozon voyage dans ses souvenirs et lectures d’ado et signe son Temps retrouvé. Sélection officielle Cannes 2020.
Mardi 3 décembre 2019 Au sein d'une petite communauté montagnarde gelée par l’hiver, la disparition d’une femme provoque des réactions contrastées : indifférence du rude Michel, suspicion de son épouse Alice qui pense que son amant, le solitaire Joseph, n’est pas...
Mardi 5 mars 2019 L’exfiltration d’une djihadiste repentie française et de son fils, orchestrée en marge des services de l’État. Emmanuel Hamon signe un très convaincant premier long-métrage aux confins de l’espionnage, du thriller et de la géopolitique...
Mardi 5 février 2019 Coup de tonnerre pour l’Église en général, cataclysme pour le diocèse de Lyon, apocalypse pour Philippe Barbarin et les autres personnes mises en cause (...)
Mardi 8 janvier 2019 Entre certitudes et hypothèses, sorties annoncées et tournages en cours, le premier semestre 2019 s’achevant peu ou prou avec Cannes recèle son content de promesses…
Mercredi 31 mai 2017 Une jeune femme perturbée découvre que son ancien psy et actuel compagnon mène une double vie. Entre fantômes et fantasmes, le nouveau François Ozon transforme ses spectateurs en voyeurs d’une œuvre de synthèse. En lice à Cannes 2017.
Mardi 20 septembre 2016 Sans grand moyen mais avec une ambition artistique immense, Cannibale est la preuve que le théâtre est une arme d'émotion massive avec cette fable moderne sur l'amour et la douleur.
Mercredi 14 septembre 2016 de Justine Triet (Fr, 1h36) avec Virginie Efira, Vincent Lacoste, Melvil Poupaud…
Mardi 15 septembre 2015 ​Récemment muté dans un petit village, un curé charmeur et beau parleur fait perdre la tête à ses paroissiennes. La sienne finira par rouler au fond d’un panier... Justement récompensé au Festival des Films du Monde de Montréal, le nouveau...
Mardi 23 décembre 2014 "Une fille dans chaque port" : c’est une devise des marins, et elle en dit long sur l’univers hautement viril qui règne au sein des équipages. Fidélio, (...)
Mardi 4 novembre 2014 De François Ozon (Fr, 1h47) avec Romain Duris, Anaïs Demoustier, Raphaël Personnaz…
Mercredi 10 juillet 2013 Avec ce portrait d’une adolescente qui découvre le désir et brave les interdits, François Ozon prouve sa maîtrise actuelle de la mise en scène, mais ne parvient jamais à dépasser le regard moralisateur qu’il porte sur son héroïne. Christophe Chabert
Mercredi 10 juillet 2013 Après "Belle épine", Rebecca Zlotowski affirme son désir de greffer le romanesque à la française sur des territoires encore inexplorés, comme ici un triangle amoureux dans le milieu des travailleurs du nucléaire. Encore imparfait, mais souvent...

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X