Soupçons de favoritisme en Mairie de Saint-Etienne : que dit la loi ?

Cité dans une affaire de chantage à la vidéo intime, le Maire de Saint-Etienne Gaël Perdriau serait à présent soupçonné de ne pas avoir respecté la procédure d'appel d'offres pour choisir une entreprise chargée d'organiser des spectacles dans le cadre du pass Seniors.  D'un point de vue juridique, l'affaire s'annonce complexe.


Depuis la parution, ce lundi matin, d'un article de nos confrères de France Info, la municipalité de Saint-Etienne est soupçonnée de favoritisme dans une affaire d'achat de places de spectacles auprès d'un opérateur local, destinées à être revendues via le pass Seniors. Lors de la saison 2020-21, la Ville de Saint-Etienne a en effet acheté des places de concerts auprès de l'organisateur de spectacles C'Kel Prod. Problème : cette commande a été passée sans en passer par un appel d'offre, alors même que son montant total aurait dû l'y obliger

Par l'intermédiaire de l'adjoint à la Culture Marc Chassaubéné, la municipalité s'est depuis lors défendue de tout manquement à la procédure, invoquant  la disposition 2122-3 du code de la commande publique qui stipule :

« L'acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour l'une des raisons suivantes : 

1° Le marché a pour objet la création ou l'acquisition d'une œuvre d'art ou d'une performance artistique unique ;
2° Des raisons techniques. Tel est notamment le cas lors de l'acquisition ou de la location d'une partie minoritaire et indissociable d'un immeuble à construire assortie de travaux répondant aux besoins de l'acheteur qui ne peuvent être réalisés par un autre opérateur économique que celui en charge des travaux de réalisation de la partie principale de l'immeuble à construire ;
3° L'existence de droits d'exclusivité, notamment de droits de propriété intellectuelle.
Le recours à un opérateur déterminé dans les cas mentionnés aux 2° et 3° n'est justifié que lorsqu'il n'existe aucune solution de remplacement raisonnable et que l'absence de concurrence ne résulte pas d'une restriction artificielle des caractéristiques du marché. »

Une disposition, plusieurs interprétations

L'objet de cette disposition laissant selon nous apparaitre plusieurs interprétations possibles, nous avons sollicité l'aide d'un professeur de droit public, spécialiste de la commande publique, pour décrypter la situation. Celui-ci nous a tout d'abord répondu que seule une expertise juridique pourrait faire apparaitre une réponse formelle. 

En premier lieu néanmoins, celui-ci pointe du doigt la fragilité de l'invocation par Marc Chassaubéné de la disposition 2122-3 du code : la municipalité n'a pas acheté la performance, mais des places pour cette performance ; or, la disposition en question a pour objet l'achat par un pouvoir adjudicateur (ici, la commune), d'une œuvre d'art ou d'une performance artistique. 

Cela étant, sur l'argument selon lequel la société C'Kel Prod serait la seule à pouvoir livrer tel ou tel concert, il faudrait tout d'abord pouvoir vérifier que C'Kel Prod est effectivement la seule à pouvoir le faire. C'est-à-dire, s'assurer que ses concurrents sont dans l'incapacité d'organiser cette même prestation, soit pour des raisons techniques, soit pour des raisons juridiques : il ne suffit pas, en effet, de constater que lesdits concurrents n'ont pas la prestation voulue dans leur catalogue ou qu'ils ne souhaitent pas la proposer, il faut qu'ils en soient empêchés. Ici, donc, l'argument invoqué par Marc Chassaubéné semble ne pas tenir. 

Néanmoins, nos confrères de France Bleu Saint-Etienne Loire, qui ont de leur côté également pris le soin d'interroger un avocat docteur en droit public, Maître Pierric Salen, font apparaitre une autre interprétation possible de la disposition R2122-3. Selon l'avocat cité par nos confrères, « En ce qui concerne l'achat de places, il s'agit bel et bien d'un marché public. Là-dessus, il n'y a pas de débat. » L'avocat précise ensuite qu'un arrêt du Conseil d'État pourrait ouvrir la voie à une jurisprudence permettant d'écarter l'obligation d'une mise en concurrence, se référant à une affaire de 2013, avant d'ajouter qu'il « s'agit d'un dossier complexe »… Sans aucun doute. 


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