Le Méliès / Un festival de cinéma toute l'année

Incontournable institution du paysage culturel stéphanois depuis quarante ans, le Méliès est l'exemple même du cinéma indépendant qui a su grandir et s'adapter, sans trahir sa mission première : défendre des films de qualité dans un cadre convivial à taille humaine.


Dès sa création en 1983 par Alain Cramier (avec deux salles classées Art & Éssai au 38 rue Gambetta), le Méliès défend une certaine idée du cinéma, proposant films en sortie nationale et reprises de grands classiques restaurés, films de patrimoine et films jeune public. La particularité de l'établissement est alors de projeter des œuvres du monde entier, systématiquement en version originale sous-titrée. Très tôt, le Méliès fidélise un public d'habitués avec la proposition de nombreux temps forts, rendez-vous et animations : avant-premières, rencontres avec des cinéastes, soirées débats, rétrospectives, ainsi qu'une généreuse carte blanche aux associations. Les cinéphiles suivent année après année la filmographie des plus grands noms d'un cinéma exigeant.

Mais face à l'augmentation du nombre de films et le développement des multiplexes, le Méliès n'a d'autre solution que de s'agrandir et donc de déménager, répondant à la demande des spectateurs et des distributeurs. Sur le site historique de La Tribune Républicaine dont la friche Lignel est inoccupée depuis 1988, démarre en 2006 un chantier impressionnant avec la construction d'un cinéma de quatre salles (650 fauteuils), d'un café, de bureaux, de logements et d'une brasserie Ninkasi. Le budget global grimpe à 3, 5 millions d'euros pour une surface totale de 3 510 m2. Le projet de l'architecte Fabien Jallon (XXL Atelier) conservera la façade de style Art déco du bâtiment dessiné par Auguste Bossu.

Éveiller la curiosité des spectateurs 

La taille et la configuration du nouveau site permettront de décupler le nombre d'animations. Le successeur d'Alain Cramier, Paul-Marie Claret défendra à son tour l'idée que chaque film doit être une expérience. « Nous sommes une épicerie fine du cinéma qui souhaite éveiller la curiosité des spectateurs : d'abord avec les films proposés, mais aussi avec tout ce qui peut se vivre autour. » Boostée par le directeur-programmateur Sylvain Pichon, l'équipe ne manquera pas d'idées. À partir de 2007, le Ciné-Club Anglais invitera les spectateurs à débattre en langue anglaise suite à la projection d'un film anglophone. Dès 2011, Skype me if you canpermettra des échanges avec des cinéastes étrangers par webcam interposée. A l'automne 2013, l'équipe du Méliès organise la première édition de Get On The Bus, embarquant avec elle une cinquantaine de spectateurs jusqu'au Musée National du Cinéma de Turin. Les soirées ciné-quiz se multiplient, les expositions s'enchaînent dans le long couloir et le Méliès continue d'accueillir des festivals, à l'image de Face à Face ou de Tête de Mule. À la caisse seront mis en place les tickets suspendus (laissez votre monnaie pour offrir une séance aux personnes dans le besoin) et sur les écrans 1 minute 1 artiste mettra en lumière le travail de plasticiens régionaux.

Témoignages

Parmi les spectateurs du Méliès qui l'ont fréquenté au cours des quatre décennies, tous ont un souvenir, un fait marquant ou une anecdote à raconter. Karine, professeure des écoles, était présente pour l'ultime projection de l'ancien Méliès avec Le vent se lève de Ken Loach. « Trois jours plus tard, j'étais dans la salle pour la première du nouveau Méliès avec Marie-Antoinette de Sofia Coppola. » Auteur-compositeur-interprète, Christopher évoque le jour où il a emmené son père, natif de Sheffield, voir The full Monty. « Je lui ai caché que nous allions voir un film tourné dans sa ville natale, je voulais lui faire la surprise et partager ensuite ses réactions. » Bassiste, Guillaume n'oubliera pas de sitôt la soirée blues à laquelle a pris part son groupe Devil Jo & The Backdoormen, au Méliès Saint-François. Lorsqu'il évoque l'histoire du Méliès première génération, François repense à la période de son engagement pour l'association ATTAC. « Alain Cramier nous a permis d'organiser, sans rien payer du tout, des séances ciné-débat qui attiraient pas mal de monde. Le soir de la projection de La sociologie est un sport de combat de Pierre Bourdieu, nous nous sommes complètement faits déborder par l'affluence, si bien que les membres de l'association ont vu le film assis sur les marches dans les allées ! »

Réalisateur, Frédéric conserve un souvenir ému de la projection de Phantom of the Paradise (Brian De Palma) et sourit en évoquant les courts-métrages désopilants du collectif Mes Couilles Dans Ton Slip. Enseignant en collège, Didier avait quant à lui apprécié la dégustation animée par l'œnologue Marie Bouteille, après la projection du film italien Le déjeuner du 15 août (Gianni Di Gregorio). Stéphanie, intermittente du spectacle, se souvient avoir découvert l'acteur Mads Mikkelsen dans le film Les Bouchers verts (Anders Thomas Jensen). Hacène, artiste-peintre, se remémore sans peine ses premières claques visuelles et poétiques au Méliès, avec Les ailes du désir de Win Wendes ou Mulholand drive de David Lynch.

Dans la team

Sylvain Chevreton fut l'animateur des Skype Me If You Can. « Parmi mes meilleurs souvenirs, je citerais la réalisatrice italienne Valeria Golino qui répondait aux questions des spectateurs en peignoir dans une chambre d'hôtel, William Friedkin (L'Exorciste) qui nous a raccroché au nez au bout de 5 minutes, ou encore Benh Zeitlin (Les bêtes du sud sauvage) qui, en panne d'internet chez lui, nous a rappelé depuis un banc dans la gare de la Nouvelle Orléans ! ».

Projectionniste de longue date, Raphaël Labouré évoque le passage au numérique qui a débuté en 2012 : « À l'époque de l'analogique c'était très physique, on trimballait des cartons de bobines livrés par un réseau national de transporteurs. Un film comme Danse avec les loups représentait quarante kilos, soit dix bobines de vingt minutes qu'il fallait monter avec la colleuse 35 mm. Aujourd'hui on reçoit par courrier des fichiers DCP dans des disques durs protégés par une clé numérique… »

Un poste de médiateur publics jeunes a été créé à l'automne 2021. Au sein de l'équipe du Méliès, Sabrina Askelou incarne ainsi la nouvelle génération. La jeune femme a notamment pour mission la gestion des Ambassadeurs lycéens et étudiants cinéphiles. Le défi est de taille : faire venir les jeunes dans les salles obscures !


1983 naissance du Méliès au 38 rue Gambetta
2006 inauguration du nouveau Méliès au 10 place Jean Jaurès
2009 décès du fondateur Alain Cramier
2011 nouvelle équipe autour du gérant Paul-Marie Claret
2014 Le France devient le Méliès Saint-François au 8 rue de la Valse
2019 rénovation du Méliès Jean-Jaurès et ouverture de la Brasserie
2023 le Méliès fête ses quarante ans


<< article précédent
«Les Rascals montre que la violence est une impasse »