Le Monde fantastique d'Oz

La rencontre entre Disney et Sam Raimi autour d'une ingénieuse genèse au "Magicien d'Oz" débouche sur un film schizo, où la déclaration d'amour au cinéma du metteur en scène doit cohabiter avec un discours de croisade post-"Narnia". Christophe Chabert


En écrivant la semaine dernière que Spring Breakers était une variation autour du Magicien d'Oz où James Franco serait une version gangsta dudit magicien, on ne savait pas encore que celui-ci l'incarnait pour de bon dans cette version signée Sam Raimi. Il faut dire que le titre français est trompeur : il laisse entendre que l'on est face à un remake du classique de Victor Fleming, alors qu'il en écrit en fait la genèse.

Il s'agit donc de raconter comment un prestidigitateur minable et très porté sur la gente féminine, qui se rêve en Thomas Edison mais se contente de tours à deux sous dans une roulotte du Kansas, va passer de l'autre côté de l'arc-en-ciel et découvrir le monde d'Oz, ses vilaines sorcières et son chemin de briques jaunes. Sam Raimi rend avant tout un hommage esthétique à l'original : il débute par trente minutes en noir et blanc, son mono et format carré, avant de laisser exploser couleurs, effets sonores et 3D débridée par la suite.

Il y a là une jolie déclaration d'amour au cinéma comme illusion permanente et nécessaire, un peu à la manière d'un Scorsese ou même, en poussant un peu, un Tarantino — le visage projeté sur la fumée rappelle la «vengeance juive» de Mélanie Laurent à la fin d'Inglourious Basterds. La mise en scène, constamment inventive, est à la hauteur de l'enjeu, aussi à l'aise dans la comédie, la féerie ou même la terreur pure. Par instants, comme lorsque la montgolfière s'abîme dans le cyclone, Raimi fait preuve d'un sens visuel vraiment époustouflant, rappelant qu'il est un des plus doués de sa génération.

In Oz we trust

Il y a cependant un autre film dans ce Monde fantastique d'Oz, plus embarrassant. Oz / Franco répond au standard désormais éprouvé du héros campbellien, projeté dans un monde magique qui va l'obliger à se transfigurer et se dépasser. À cela s'ajoute un discours qui martèle lourdement la nécessité de la «foi» pour gagner la «guerre» contre l'ennemi, le tout sans violence — mais les mots sont parfois plus pernicieux que les images. Il y a comme un désagréable parfum de croisade expliquée aux enfants là-derrière, et après avoir fait de l'Alice de Lewis Carroll une ambassadrice du libre-échange avec la Chine dans la version Burton, Disney fait du Magicien d'Oz un chef de guerre illuminé. Raimi compose avec cet encombrant fatras post-Narnia, mais on le sent aussi se boucher le nez, impatient de retourner s'amuser avec ses nouveaux jouets en 3D.

 


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