Hungry Hearts

Après "La Solitude des nombres premiers", Saverio Costanzo prolonge son exploration des névroses contemporaines en filmant l'enfermement volontaire d'une femme, atteinte d'une phobie radicale du monde extérieur. Un film dérangeant dont la mise en scène rappelle Polanski. Christophe Chabert


La rencontre entre Jude et Mina pourrait être le prélude à une comédie romantique : ils se retrouvent tous deux enfermés dans les toilettes d'un restaurant chinois, incommodés par l'odeur et embarrassés par cette promiscuité forcée.

Cette première scène de Hungry Hearts agit donc comme un faux-semblant pour le reste du film, pas franchement drôle et même carrément inquiétant. Mais Saverio Costanzo, déjà auteur du remarquable et terrible La Solitude des nombres premiers, y offre deux indices au spectateur quant à la tournure que prendront les événements : d'abord, la claustration physique et son prolongement psychologique, véritable sujet du film ; puis cette idée d'un corps masculin dont les fluides créent des effluves nauséabondes et potentiellement dangereuses.

C'est ce qui va détraquer l'histoire d'amour : une fois le mariage célébré, l'enfant à naître n'est pas vraiment désiré. «Ne viens pas en moi !» demande Mina, mais Jude ne parvient pas à se retenir. Quelque chose d'étranger est donc entré dans son corps, et le fruit de cette "invasion" va devenir pour Mina l'objet de toutes ses attentions, qu'elle chercher à préserver à son tour de toute intrusion venue de l'extérieur.

Pénétration interdite

Costanzo touche juste dans sa peinture d'une femme qui construit une bulle étanche pour protéger sa famille, cultivant ses propres légumes, recouvrant les angles des meubles de papier bulle et refusant de s'aventurer dans des rues polluées et agressives — la bande-son, hyper-réaliste, toute en détails crispants, parvient à figurer cette angoisse de l'héroïne. Il le fait par des moyens purement cinématographiques, confirmant son appétit pour la forme déjà sensible dans son film précédent : plutôt qu'Argento et Carpenter, il préfère cette fois l'influence d'un Polanski, plus rugueuse et anxiogène encore.

La mise en scène multiplie les plans au fish-eye déformant perspectives et visages, courbant l'espace jusqu'à le rendre abstrait, produisant une sensation de claustrophobie constante. La folie qui s'empare des personnages semble contaminer la texture même des images, bousculant les repères du spectateur et créant un malaise durable.

Le choix des deux acteurs n'y est pas pour rien non plus : la troublante Alba Rohrwacher et le ténébreux Adam Driver, couple italo-américain aussi étrange sur le papier qu'à l'écran, prouvent que dans ce film peu aimable, mais franchement passionnant, rien n'a été laissé au hasard.

Hungry Hearts
De Saverio Costanzo (Ita, 1h53) avec Alba Rohrwacher, Adam Driver…


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