Comment votre père a-t-il eu lidée de créer une boutique spécialisée dans le whisky à Lyon au début des années 1990, alors que personne ou presque ne sy intéressait à lépoque ?
Pierre Tissandier : Mon père a démarré dans le whisky quasiment en même temps que La Maison du Whisky. Cétait vraiment les deux seules boutiques existantes pendant des années. Aujourdhui, on trouve des boutiques de whisky et de rhum partout mais à lépoque cétait un pari dilluminé. La boutique a été créée en 1993 mais mon père a commencé dans le négoce de whisky dans les années 1970 à Clermont-Ferrand. Cest parce quil maîtrisait très bien lunivers du vin et des spiritueux français quil a compris lintérêt du whisky et de sa diversité. Il faut des créateurs. Si vous navez pas un furieux qui ne comprend rien aux chiffres mais qui prend le risque de se lancer, il ne se passera rien.
Aujourdhui, lattention des Français à légard du whisky a beaucoup évolué. Comment avez-vous vécu ce changement ?
En fait, ça a fonctionné par paliers. Le premier était le plus difficile. Un jour, alors quil avait ouvert une dizaine dannées auparavant, mon père voit un type entrer dans la boutique. Cétait un vrai Lyonnais. Il regarde mon père et lui dit : « Ça fait bien dix ans que vous êtes là ? Si vous êtes à Lyon depuis dix ans cest que vous devez être bon. » Ces gens-là sont ensuite dune fidélité incroyable. Mon père est un conteur dhistoires. On a la chance dêtre dans un univers incroyable, délirant.
Cette nouvelle popularité du whisky en France a dû avoir des répercussions sur la boutique, non ?
Pas quen France. De nouveaux marchés se sont ouverts. LAsie est devenue un marché gigantesque pour le whisky. Nous notre problème cest quon vend des whiskies au consommateur français à des prix tout à fait raisonnables par rapport à ce qui se fait en Asie. Les distillateurs nalignent pas les prix de la France sur lAsie, ils font linverse. Nous on se prend des augmentations constantes. À cela sajoute le fait quil ny a plus de vieux stocks. Très vite, les whiskies plus rares atteignent des prix délirants. Jai des exemples de bouteilles quon vend aujourdhui 2000 que mon père vendait 50. Des fois on a des bonnes surprises. On a des vieux clients qui arrivent avec une bouteille sous le bras et qui nous disent : « jai une surprise pour vous, vous mavez vendu cette bouteille en 1998, il men reste, je me suis dit quon allait partager. » Très concrètement sur la boutique on sest débrouillé pour maintenir un niveau de qualité et de prix. On veut continuer à faire partager une passion.
Une passion qui va aujourdhui plus loin que la simple sélection, puisque vous êtes depuis 2011 embouteilleurs indépendants sous la marque « Orcines »...
On importait tout un tas de maisons qui étaient déjà des embouteilleurs. Alors attention, quand on dit embouteilleurs, ce nest pas juste mettre du whisky dans une bouteille. Cest ce quon qualifierait plus déleveur dalcool, comme dirait mon père. Cest de laffinage.
Et comment devient-on un bon éleveur dalcool ?
Il faut déjà savoir choisir leau-de-vie, sa qualité, sa robustesse, sa finesse. Cest le whisky à zéro année qui définit dabord la qualité du produit final. On utilise ensuite nos fûts de bourbon, de xérès, qui vont donner une orientation, un affinage spécifique. Nous, on est des fans du distillery character, le goût de leau-de-vie quand elle sort de lalambic. Avec Orcines on met notre tête sur le billot. On ne peut pas dire quon est passé au travers, quon na pas fait attention, quon est allé un peu vite. Là on a travaillé dessus, on la goûté plein de fois, on a vu son évolution.