A loccasion de sa sixième édition, le Lyon Whisky Festival met de leau dans son vin en ouvrant pour la première fois un corner dédié au rhum. Loccasion de mêler des passionnés de ces deux eaux-de-vie sous les cieux réconciliateurs du Palais de la Bourse. Et de parler, une fois nest pas coutume, de rhum, en revenant sur les bases historiques, techniques, culturelles de cette boisson et sur son riche imaginaire.
Oh, sugar, sugar...
Avant dêtre votre boisson préférée (après le whisky), le rhum est surtout une idée de génie. Schématiquement, pour faire de lalcool il faut de leau, des levures, du savoir-faire Mais surtout du sucre. Tous les spiritueux quels quils soient ont besoin de cette matière première pour quune fermentation alcoolique ait lieu. Pas de sucre = pas dalcool, cest la règle de base. Alors, chacun y va de son ingéniosité et fait avec ce quil trouve. La source peut-être immédiatement disponible (des fruits, bourrés de sucres simples) ou plus inaccessible (des céréales, riches en sucres complexes qui doivent dabord être décomposés). Or le rhum est directement issu de produits sucriers (canne, mélasse ). Une sorte de sucre au carré donc, un alcool parfait, qui va puiser directement à la source. Il fallait y penser.
Sauf que le rhum na pas toujours été ce produit noble que nous connaissons, vendu parfois fort cher dans de belles bouteilles. Au départ cest même un sous-produit du sucre. En effet, si la canne et ses vertus sont connues depuis lAntiquité en Asie, en Mésopotamie, en Égypte ce nest quà compter du XVIe siècle que les sucreries, dans loptique de rentabiliser lensemble de la chaîne, se mettent à distiller la mélasse (ce qui reste une fois les opérations de raffinage effectuées).
A la fin du XVIIIe, le mouvement saccélère : les soubresauts politiques internationaux Révolution française, guerres napoléoniennes, blocus continental vont rendre le commerce par voie de mer extrêmement compliqué et faire monter les enchères. Surgit alors cet allié improbable de votre alcool favori : la betterave. Grâce à son meilleur rendement et son coût moins élevé, elle vient rapidement supplanter la canne, et provoque une hécatombe dans les sucreries du monde entier. Les rares survivantes vont se retrouver avec leur jus de canne sur les bras. De là au rhum agricole, il ny quun pas, qui sera franchi après la deuxième guerre mondiale.
T'as voulu voir Vesou et on a vu Vesou
Selon son origine, la tradition de distillation, les nécessités économiques ou les préférences de son producteur, un rhum peut être obtenu essentiellement à partir de trois dérivés de la canne à sucre :
- Le jus de canne aussi appelé vesou qui est issu du broyage mécanique des cannes ; cest la matière première du rhum agricole produit dans les DOM et des rhums de Madère ; dautres régions lutilisent également dans des rhums pur canne
- La mélasse qui est le résidu du processus de fabrication du sucre ; un liquide sombre, dense et sirupeux qui est la matière première historique et dominante des rhums produits dans le monde
- On trouve de manière marginale des rhums élaborés à partir de sirop de canne et de miel de canne (des jus de canne concentrés par évaporation), notamment au Guatemala.
Cest là que la foire dempoigne commence. Pour certains, il ny a que les rhums à base de jus de canne qui vaillent, et lappellation rhum industriel par opposition au rhum agricole en dit long sur le mépris réservé aux rhums de mélasse (de 90 à 95% du marché, tout de même). Ces derniers sont encore trop souvent synonymes de qualité médiocre et de surdose assurée en sucre. Cest avoir la mémoire un peu courte, et surtout, ignorer la réalité.
Plus que de qualité, la principale différence entre ces deux catégories se pose en termes de profil aromatique, par ailleurs influencé par une infinité de variables : vieillissement, type de fûts, type dalambic, conditions climatiques
Une tradition s'il vous plaît !
Dans la tempête, une notion vient à notre secours : celle de tradition. On en dénombre trois grandes : hispanique, britannique et française, chacune le fruit de siècles dhistoire et qui imprègnent toujours le caractère des rhums que lon déguste aujourdhui :
- La tradition hispanique : sans doute la plus connue du grand public. Elle sépanouit en Amérique centrale, en Amérique du Sud et dans certaines îles des Caraïbes. Elle privilégie la douceur voire la suavité, souvent au moyen dune distillation en colonne et dune base de mélasse. Les rhums hispaniques arborent fièrement le nom de ron et leurs arômes gourmands de vanille, de caramel et de fruits confits sont très flatteurs au palais
- La tradition française : la plus connue en France. Elle se concentre principalement sur les Antilles et les DOM, avec quelques échappées en Île Maurice et jusquen Thaïlande. Ici, le jus de canne ou vesou est roi. Sans sucre ajouté, distillé en colonne, il donne naissance aux rhums agricoles et pure canne : intenses, végétaux, avec une belle fraîcheur et une nervosité qui sassouplit avec le temps. On parle de rhum, et son caractère affirmé en fait le favori de bien des puristes
- La tradition britannique : souvent la moins comprise ailleurs quen Angleterre. Ses origines sont à chercher du côté des anciennes colonies britanniques : Barbade, Jamaïque, Sainte-Lucie, Guyana Héritage de la Royal Navy, elle offre des rhums corsés et charpentés souvent issus de mélasse et distillés en pot still, héritage du whisky écossais. Lourd en esters, puissant en bouche, ce rum ne fait pas dans la dentelle, et cest bien ce qui fait son charme.
Trois traditions, trois visions du rhum et un immense terrain de jeu pour les amateurs.
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage...
Si Une famille en or existait toujours, il y a fort à parier que le premier mot associé à rhum serait pirate. Si dans de nombreux récits populaires, un flibustier digne de ce nom ne va jamais sans sa chope de grog, le rhum est avant tout une boisson de marin. Le capitaine Haddock bien sûr qui (faute de whisky) senthousiasme pour le rhum jamaïcain, mais surtout les marins de la Royal Navy. Depuis le XVIIe siècle, la marine britannique allouait à ses troupes une ration quotidienne du rhum, appelée le daily tot. Cette ration donnait un sérieux coup de fouet au moral, assainissait leau parfois douteuse, et luttait même contre le scorbut (avec laide dun peu de citron) ; les marins nétaient en revanche pas toujours en pleine possession de leurs moyens. Au fil des ans, le tot samenuisa, jusquà disparaître officiellement un certain 31 juillet 1970 ! Jour de sombre mémoire surnommé, en signe de deuil, le black tot day.
Du Rhum des flammes...
En tant quamateur de rhum, la notion de proof vous est peut-être familière. Le proof était la preuve quun alcool vendu et taxé ! comme fort létait bien en réalité, visant à rassurer les acheteurs, les consommateurs et bien sûr les douaniers. Il correspondait au degré (57, 15%) auquel de la poudre à canon mélangée à lalcool et soumise à la flamme prenait feu. En dessous, il ne se passait rien, lalcool était dit under proof ; au-dessus, la poudre explosait, lalcool était dit over proof. Doù la notion chère aux pirates modernes de gunpowder parfois mentionnée sur certaines étiquettes, comme celle du célèbre Pussers Navy Rum.
Quand c'est trop, c'est tropical
Sil est un débat qui anime la communauté des amateurs de rhum, cest bien celui du vieillissement. À ma gauche, les partisans du continental ; à ma droite, les inconditionnels du tropical. Agitez quelques instants, laissez fermenter, et voyez le résultat ! On parle de vieillissement tropical lorsque le rhum vieillit sur son lieu de production dorigine, où les conditions climatiques sont souvent tropicales ; a contrario, un rhum ayant été transporté sous des latitudes moins exotiques lEurope, au hasard bénéficie dun vieillissement dit continental.
Les deux ont leurs défenseurs et leurs détracteurs, souvent irréconciliables. Pour certains, le vieillissement tropical est seul légitime, notamment en termes dauthenticité. Cest le cas de lembouteilleur Velier par exemple. Pour dautres, les conditions plus délicates des climats tempérés donnent aux eaux de vie une patine incomparable : on trouve dans leurs rangs Samaroli et Bristol Classic Rum. Les arguments sont légion, la mauvaise foi aussi. Ainsi lit-on parfois quune eau-de-vie vieillie 3 ans sous les tropiques équivaudrait à une de 12 ans vieillie en Europe allez dire ça à un Écossais !
Il venait d'avoir 18 ans...
Lamour na pas dâge, cest bien connu. Votre amour pour le rhum en tout cas. Un dernier conseil, pourtant, avant de prendre congé : méfiez-vous des apparences. Dans le rhum, létiquette ne fait pas le moine. Dans la tradition hispanique en tout cas, où lemploi encore répandu de la méthode solera pour le vieillissement permet laffichage dun âge parfois ronflant. Pas complètement mensonger, le joli nombre quarbore votre bouteille préférée peut quand même savérer trompeur, puisquil témoigne de lâge de leau-de-vie la plus âgée.
Exactement linverse du whisky ou du cognac donc. Ce qui ne présage pas de la qualité, bien sûr, mais tout de même. Attention également aux mentions VSOP et XO, plutôt réglementées en Martinique, mais qui ne bénéficient pas de la même garantie légale que dans le Cognac. Autrement dit, mieux vaut senquérir de la carte didentité de votre eau-de-vie convoitée avant de faire quelque chose que vous pourriez regretter !
Voilà pour lessentiel. Et comme dans une vraie belle aventure, cest là que tout peut commencer. Maintenant, pour la mise en pratique : rendez-vous au rhum corner du Lyon Whisky Festival !