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Lyon Whisky Festival 2025

Yop là ho ! Une bouteille de Rhum

A l’occasion de sa sixième édition, le Lyon Whisky Festival met de l’eau dans son vin en ouvrant pour la première fois un corner dédié au rhum. L’occasion de mêler des passionnés de ces deux eaux-de-vie sous les cieux réconciliateurs du Palais de la Bourse. Et de parler, une fois n’est pas coutume, de rhum, en revenant sur les bases — historiques, techniques, culturelles — de cette boisson et sur son riche imaginaire.

Oh, sugar, sugar...

Avant d’être votre boisson préférée (après le whisky), le rhum est surtout une idée de génie. Schématiquement, pour faire de l’alcool il faut de l’eau, des levures, du savoir-faire… Mais surtout du sucre. Tous les spiritueux quels qu’ils soient ont besoin de cette matière première pour qu’une fermentation alcoolique ait lieu. Pas de sucre = pas d’alcool, c’est la règle de base. Alors, chacun y va de son ingéniosité et fait avec ce qu’il trouve. La source peut-être immédiatement disponible (des fruits, bourrés de sucres simples) ou plus inaccessible (des céréales, riches en sucres complexes qui doivent d’abord être décomposés). Or le rhum est directement issu de produits sucriers (canne, mélasse…). Une sorte de sucre au carré donc, un alcool parfait, qui va puiser directement à la source. Il fallait y penser.

Sauf que le rhum n’a pas toujours été ce produit noble que nous connaissons, vendu parfois fort cher dans de belles bouteilles. Au départ c’est même un sous-produit… du sucre. En effet, si la canne et ses vertus sont connues depuis l’Antiquité — en Asie, en Mésopotamie, en Égypte — ce n’est qu’à compter du XVIe siècle que les sucreries, dans l’optique de rentabiliser l’ensemble de la chaîne, se mettent à distiller la mélasse (ce qui reste une fois les opérations de raffinage effectuées).

A la fin du XVIIIe, le mouvement s’accélère : les soubresauts politiques internationaux — Révolution française, guerres napoléoniennes, blocus continental — vont rendre le commerce par voie de mer extrêmement compliqué et faire monter les enchères. Surgit alors cet allié improbable de votre alcool favori : la betterave. Grâce à son meilleur rendement et son coût moins élevé, elle vient rapidement supplanter la canne, et provoque une hécatombe dans les sucreries du monde entier. Les rares survivantes vont se retrouver avec leur jus de canne sur les bras. De là au rhum agricole, il n’y qu’un pas, qui sera franchi après la deuxième guerre mondiale.

T'as voulu voir Vesou et on a vu Vesou

Selon son origine, la tradition de distillation, les nécessités économiques ou les préférences de son producteur, un rhum peut être obtenu essentiellement à partir de trois dérivés de la canne à sucre :

  • Le jus de canne – aussi appelé vesou – qui est issu du broyage mécanique des cannes ; c’est la matière première du rhum agricole produit dans les DOM et des rhums de Madère ; d’autres régions l’utilisent également dans des rhums “pur canne”
  • La mélasse qui est le résidu du processus de fabrication du sucre ; un liquide sombre, dense et sirupeux qui est la matière première historique et dominante des rhums produits dans le monde
  • On trouve de manière marginale des rhums élaborés à partir de sirop de canne et de miel de canne (des jus de canne concentrés par évaporation), notamment au Guatemala.

C’est là que la foire d’empoigne commence. Pour certains, il n’y a que les rhums à base de jus de canne qui vaillent, et l’appellation “rhum industriel” par opposition au “rhum agricole” en dit long sur le mépris réservé aux rhums de mélasse (de 90 à 95% du marché, tout de même). Ces derniers sont encore trop souvent synonymes de qualité médiocre et de surdose assurée en sucre. C’est avoir la mémoire un peu courte, et surtout, ignorer la réalité.

Plus que de qualité, la principale différence entre ces deux catégories se pose en termes de profil aromatique, par ailleurs influencé par une infinité de variables : vieillissement, type de fûts, type d’alambic, conditions climatiques…

Une tradition s'il vous plaît !

Dans la tempête, une notion vient à notre secours : celle de tradition. On en dénombre trois grandes : hispanique, britannique et française, chacune le fruit de siècles d’histoire et qui imprègnent toujours le caractère des rhums que l’on déguste aujourd’hui :

  • La tradition hispanique : sans doute la plus connue du grand public. Elle s’épanouit en Amérique centrale, en Amérique du Sud et dans certaines îles des Caraïbes. Elle privilégie la douceur voire la suavité, souvent au moyen d’une distillation en colonne et d’une base de mélasse. Les rhums hispaniques arborent fièrement le nom de ron et leurs arômes gourmands de vanille, de caramel et de fruits confits sont très flatteurs au palais
  • La tradition française : la plus connue… en France. Elle se concentre principalement sur les Antilles et les DOM, avec quelques échappées en Île Maurice et jusqu’en Thaïlande. Ici, le jus de canne — ou vesou — est roi. Sans sucre ajouté, distillé en colonne, il donne naissance aux rhums agricoles et pure canne : intenses, végétaux, avec une belle fraîcheur et une nervosité qui s’assouplit avec le temps. On parle de rhum, et son caractère affirmé en fait le favori de bien des puristes
  • La tradition britannique : souvent la moins comprise… ailleurs qu’en Angleterre. Ses origines sont à chercher du côté des anciennes colonies britanniques : Barbade, Jamaïque, Sainte-Lucie, Guyana… Héritage de la Royal Navy, elle offre des rhums corsés et charpentés souvent issus de mélasse et distillés en pot still, héritage du whisky écossais. Lourd en esters, puissant en bouche, ce rum ne fait pas dans la dentelle, et c’est bien ce qui fait son charme.

Trois traditions, trois visions du rhum et un immense terrain de jeu pour les amateurs.

Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage...

Si Une famille en or existait toujours, il y a fort à parier que le premier mot associé à “rhum” serait “pirate”. Si dans de nombreux récits populaires, un flibustier digne de ce nom ne va jamais sans sa chope de grog, le rhum est avant tout une boisson de marin. Le capitaine Haddock bien sûr qui (faute de whisky) s’enthousiasme pour le rhum jamaïcain, mais surtout les marins de la Royal Navy. Depuis le XVIIe siècle, la marine britannique allouait à ses troupes une ration quotidienne du rhum, appelée le daily tot. Cette ration donnait un sérieux coup de fouet au moral, assainissait l’eau parfois douteuse, et luttait même contre le scorbut (avec l’aide d’un peu de citron) ; les marins n’étaient en revanche pas toujours en pleine possession de leurs moyens. Au fil des ans, le tot s’amenuisa, jusqu’à disparaître officiellement un certain 31 juillet… 1970 ! Jour de sombre mémoire surnommé, en signe de deuil, le black tot day.

Du Rhum des flammes...

En tant qu’amateur de rhum, la notion de proof vous est peut-être familière. Le proof était la preuve qu’un alcool vendu — et taxé ! — comme fort l’était bien en réalité, visant à rassurer les acheteurs, les consommateurs et bien sûr les douaniers. Il correspondait au degré (57, 15%) auquel de la poudre à canon mélangée à l’alcool et soumise à la flamme prenait feu. En dessous, il ne se passait rien, l’alcool était dit under proof ; au-dessus, la poudre explosait, l’alcool était dit over proof. D’où la notion chère aux pirates modernes de gunpowder parfois mentionnée sur certaines étiquettes, comme celle du célèbre Pusser’s Navy Rum.

Quand c'est trop, c'est tropical

S’il est un débat qui anime la communauté des amateurs de rhum, c’est bien celui du vieillissement. À ma gauche, les partisans du “continental” ; à ma droite, les inconditionnels du “tropical”. Agitez quelques instants, laissez fermenter, et voyez le résultat ! On parle de vieillissement tropical lorsque le rhum vieillit sur son lieu de production d’origine, où les conditions climatiques sont souvent… tropicales ; a contrario, un rhum ayant été transporté sous des latitudes moins exotiques — l’Europe, au hasard — bénéficie d’un vieillissement dit continental.

Les deux ont leurs défenseurs et leurs détracteurs, souvent irréconciliables. Pour certains, le vieillissement tropical est seul légitime, notamment en termes d’authenticité. C’est le cas de l’embouteilleur Velier par exemple. Pour d’autres, les conditions plus délicates des climats tempérés donnent aux eaux de vie une patine incomparable : on trouve dans leurs rangs Samaroli et Bristol Classic Rum. Les arguments sont légion, la mauvaise foi aussi. Ainsi lit-on parfois qu’une eau-de-vie vieillie 3 ans sous les tropiques équivaudrait à une de 12 ans vieillie en Europe… allez dire ça à un Écossais !

Il venait d'avoir 18 ans...

L’amour n’a pas d’âge, c’est bien connu. Votre amour pour le rhum en tout cas. Un dernier conseil, pourtant, avant de prendre congé : méfiez-vous des apparences. Dans le rhum, l’étiquette ne fait pas le moine. Dans la tradition hispanique en tout cas, où l’emploi encore répandu de la méthode solera pour le vieillissement permet l’affichage d’un âge parfois ronflant. Pas complètement mensonger, le joli nombre qu’arbore votre bouteille préférée peut quand même s’avérer trompeur, puisqu’il témoigne de l’âge de l’eau-de-vie la plus âgée.

Exactement l’inverse du whisky ou du cognac donc. Ce qui ne présage pas de la qualité, bien sûr, mais tout de même. Attention également aux mentions VSOP et XO, plutôt réglementées en Martinique, mais qui ne bénéficient pas de la même garantie légale que dans le Cognac. Autrement dit, mieux vaut s’enquérir de la carte d’identité de votre eau-de-vie convoitée avant de faire quelque chose que vous pourriez regretter !

Voilà pour l’essentiel. Et comme dans une vraie belle aventure, c’est là que tout peut commencer. Maintenant, pour la mise en pratique : rendez-vous au rhum corner du Lyon Whisky Festival !

L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération, dégustations interdites aux mineurs.
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