Les amateurs de rhum savent tout ce quils doivent à Bristol Classic Rum. Si la marque est connue au Royaume-Uni et dans certains pays du Nord, elle se fait encore discrète en France. Pouvez-vous nous présenter cette maison, et revenir sur les étapes qui ont marqué son histoire ?
John Barrett : Jai fondé ma première entreprise de vins et spiritueux en 1973, devenue la Bristol Brandy Company. Nous étions spécialisés dans le Cognac Early Landed, du cognac expédié en fûts au Royaume-Uni pour y être vieilli dans des chais frais et humides. Nous avons travaillé avec la plupart des grandes marques, en particulier Thomas Hine à Jarnac, qui a fini par racheter notre entreprise, à la suite de quoi nous avons intégré LVMH. En 1993, jai quitté Hine et créé la Bristol Spirits Company. Avec quelques amis, nous nous sommes lancés dans le négoce dArmagnac, de Cognac, de Calvados, de whisky et de rhum. Nous travaillions beaucoup avec les professionnels, et ce nest quà la fin des années 1990 que nous avons développé la gamme Bristol Classic Rum, bien avant lessor de lintérêt pour ce spiritueux. Avec le recul, cest très gratifiant de voir combien lengouement pour le rhum a grandi depuis.
Souvent, les embouteilleurs indépendants ont une patte, une marque de fabrique. Quelle est la philosophie, la signature de Bristol Classic Rum ?
De manière générale, je ne suis pas un grand amateur des embouteillages en brut de fût, auxquels jai tendance à préférer les small batch (petites cuvées composées de quelques fûts) embouteillés entre 46 et 49 %vol. Selon moi, cest là que les rhums sexpriment pleinement tout en restant dans le cadre dune dégustation agréable. Sil y a une marque que nous imprimons sur les embouteillages Bristol, cest bien celle-ci.
Au sein des spiritueux, le rhum est une catégorie extrêmement dynamique. En France, il est même devenu lalcool le plus consommé par les Français, devant le whisky. En tant quembouteilleur, ressentez-vous ce dynamisme, et comment voyez-vous son évolution ?
Le rhum est en effet un spiritueux incroyablement dynamique et polyvalent. Il peut être produit dans de nombreux styles, à différents âges, et à divers niveaux de prix, adaptés à différentes occasions de consommation et différents consommateurs. Servi en apéritif avec votre mixer préféré, il offre un long drink rafraîchissant, idéal à tout moment de la journée ou de la soirée. Quant aux rhums plus âgés et plus pointus, ils constituent de splendides digestifs ; ils peuvent aussi saccompagner de cigares raffinés. Cest sans doute cette polyvalence qui explique son succès grandissant. Le rhum a je pense de très beaux jours devant lui, dautant que sil est de qualité, cest toujours un plaisir à déguster !
Lembouteillage indépendant est quelque chose de désormais très répandu dans le whisky, sans doute moins dans le rhum, même si les choses évoluent. La démarche est-elle la même, ou y a-t-il des différences entre les deux ?
Lessor de lembouteillage indépendant de rhum nest pas une nouveauté, mais le marché sest considérablement développé au cours des dix dernières années. De manière générale la démarche est très similaire à celle du whisky et des autres spiritueux : une bonne fermentation, une distillation soignée, un vieillissement et un stockage maîtrisés, une préparation et un embouteillage rigoureux Cest en prêtant la plus grande attention à chaque étape que lon sassure des produits de haute qualité. Cest le cur même de notre métier. Dit comme ça, ça paraît simple
On sait que les amateurs chevronnés de rhum sont de plus en plus nombreux, et de plus en plus intransigeants. Une question qui enflamme régulièrement les discussions est celle du vieillissement : tropical ou continental ? Est-ce un nième débat de geeks ou un point essentiel, et quelle est la position de Bristol ?
En effet, la question du vieillissement est devenue un sujet brûlant parmi les passionnés de rhum. On peut débattre sans fin de ce qui est meilleur ou différent, mais pour moi cette problématique est secondaire. Tant de choses dépendent en premier lieu de la qualité du bois utilisé pour les fûts et des conditions de stockage de ces derniers. Un lieu nest pas nécessairement supérieur à un autre par essence, quand bien même il sagirait du pays de production du rhum en question. Chez Bristol, nous préférons faire vieillir nos rhums dans des chais humides et frais au Royaume-Uni, où nous pouvons surveiller leur maturation de près et les embouteiller lorsquils atteignent leur expression optimale. Cependant, nous sélectionnons et achetons également des rhums partiellement vieillis dans leur pays dorigine si leur qualité nous séduit. Au final, seule la qualité compte.
Une question brûle vraisemblablement les lèvres de ceux qui nous lisent : et Caroni alors ? Voilà encore un sujet qui fait débat, tant dun point de vue historique les fameux stocks retrouvés que du point de vue économique les prix. Et la qualité dans tout ça ? Y a-t-il une vie après Caroni ?
Caroni est un excellent exemple de stock que nous avons vieilli en deux endroits : dabord à la distillerie à Trinité-et-Tobago, puis au Royaume-Uni. Jai visité la distillerie pour la première fois en 2001, et nous avons expédié la plupart de nos fûts datant de 1974 à 2000 environ entre 2008 et 2010. Il nous reste encore des fûts en stock, certains ont donc gagné 15 ans de maturation supplémentaire en Angleterre. Ce double élevage a permis de développer un spiritueux que je trouve particulièrement équilibré. Mais au fil des embouteillages, la demande pour ce rhum a littéralement explosé, en raison de sa qualité bien sûr mais aussi du fait que la distillerie est désormais fermée. On a ainsi observé le même phénomène quen Écosse avec certaines distilleries disparues. Un engouement qui a fait grimper les prix de ces rhums à un niveau inédit. Cest difficile à imaginer dans ce contexte, mais Caroni était un excellent rhum dassemblage, parfait pour corser un embouteillage !
Dans la lignée de la question précédente, on constate que le rhum est en voie rapide de premiumisation, comme la été le whisky. Des distilleries comme Foursquare, par exemple, rappellent ce qui sest passé avec Springbank. Quel est votre point de vue de producteur sur la question ? Peut-on encore trouver des rhums de qualité à des prix raisonnables ?
De mon point de vue, il existe aujourdhui des rhums pour tous les goûts et dans toutes les gammes de prix, permettant den profiter en toute circonstance et pour chaque occasion. Le rhum ne doit pas nécessairement être une expérience premium. Bien sûr, les rhums rares et âgés de grande qualité impliquent des prix plus élevés, qui reflètent le temps et lexpertise investis dans leur élaboration, mais japprécie tout autant un rhum jeune, avec du tonic ou du ginger ale en long drink, par exemple. Dans les boutiques spécialisées et les duty free, on retrouve souvent des contenants exclusifs à des prix très élevés. Mais noublions jamais que le contenu reste avant tout un plaisir à savourer !
Beaucoup damateurs sont venus au rhum par le style hispanique parfois très édulcoré, et sont moins familiers du style britannique que représente Bristol. Comment vous adressez-vous à ces consommateurs ?
Les styles hispaniques ont toute leur place dans lunivers du rhum. Chez Bristol, au-delà des références classiques attendues chez un embouteilleur de style britannique (Barbade, Jamaïque, Guyana ), nous proposons aussi une gamme deaux-de-vie en provenance du Venezuela, de Cuba, du Panama Ces destinations de production font pleinement partie de la riche palette de styles que le consommateur de rhum peut explorer. Il ne faut pas non plus oublier les rhums agricoles, ainsi que les rhums de locéan Indien et dautres régions en dehors des Caraïbes. Tous méritent dêtre découverts : quel univers fascinant que le rhum !
Stand & masterclass
Retrouvez John Barrett sur le stand Bristol Classic Rum au Rhum Corner du Lyon Whisky Festival, et en masterclass le dimanche 16 mars à 16h30.