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Lyon Whisky Festival 2024

Rupert Patrick - Le whisky avec un grand X

Suite à un long parcours dans le whisky – chez Ian Macleod, Jim Beam, Diageo – vous avez ressuscité la marque James Eadie en 2015. Qu’est-ce qui vous a poussé à le faire, et quelle était votre vision à l’époque ?

Rupert Patrick : Mon passage dans des grands groupes m’a donné la confiance nécessaire pour démarrer ma propre affaire – et il en faut pour repartir de zéro au sein d’une toute petite entreprise ! – Au départ, il s’agissait avant tout de recréer le Trade Mark X – un whisky d’assemblage créé par son aïeul, vendu au XIXe siècle dans ses pubs en Écosse, NDLA. Pour cela, nous avons dû effectuer beaucoup de recherches et acheter de très nombreux fûts de single malts différents. Cela nous a ouverts à l’idée d’embouteiller ces stocks sous notre propre marque.

En 2015, le marché a commencé à connaître de très fortes hausses, et des whiskies ordinaires se vendaient à des prix trop élevés. Un certain nombre d’indépendants sont devenus trop gourmands. Pour moi, ce n’était pas le rôle d’un embouteilleur. Notre vision du job, c’est de fournir une variété importante de whiskies de qualité, mais à des prix raisonnables ; l’intégrité, c’est ce qui construit la réputation d’une marque. C’est une stratégie de long terme mais qui commence à porter ses fruits : les clients ne s’y trompent pas et nous accordent leur confiance – particulièrement dans le contexte actuel d’inflation.

Quelle est l’actualité de James Eadie ?

Dans 10 jours auront lieu nos nouveaux embouteillages de printemps, avec de très jolis whiskies en approche. Mais notre actualité majeure, c’est ce que nous appelons le Project 27. Nous avons collaboré avec 6 distilleries écossaises parmi les plus innovantes, à qui nous avons demandé de travailler selon les méthodes employées dans les années 30, en jouant sur tous les paramètres – variétés d’orge, levures, températures, temps de fermentation… L’idée étant de pouvoir comparer la qualité de ces whiskies avec celle d’aujourd’hui. C’est passionnant, et très amusant. Des échantillons de ces whiskies seront bientôt mis en vente ; les versions abouties le seront dans 10, 12, peut-être même 15 ans… Tout cela a un côté un peu “nerd” (intello) mais c’est véritablement fascinant.

Enfin, nous allons bientôt commercialiser deux nouveaux whiskies permanents, qui viendront rejoindre le Trade Mark X, notre blend emblématique : un Speyside Single Malt de 10 ans fini en ex-fûts d’Oloroso et un Highland Single Malt 9 ans fini en ex-fûts de Malaga.

Vous évoquiez la question des prix du whisky. Quel est votre sentiment sur l’évolution actuelle du marché, et comment voyez-vous l’avenir pour les embouteilleurs indépendants ?

Ces trois derniers mois, on a pu constater un léger “refroidissement”, notamment sur le haut de segment. Il ne faut jamais oublier que l’histoire du whisky est faite de cycles. Certains sont courts : il suffit que Johnnie Walker Red Label se vende un peu moins et il y aura immédiatement plus de fûts disponibles sur le marché ; d’autres sont longs. Depuis 1983 – crise de surproduction sans précédent qui a entraîné la fermeture de nombreuses distilleries, NDLA –, le cycle s’est totalement inversé. Les dix dernières années ont été très profitables aux acteurs du whisky, sans doute trop ; cela ne pouvait durer. Certaines entreprises spécialisées dans le trading de fûts ont largement contribué à cette situation, en alimentant la spéculation. Or, peu de gens sont prêts à mettre plus de 100 € dans une bouteille, encore moins pour un whisky qu’ils achetaient bien moins cher avant. Une limite a été franchie, qui risque d’avoir un impact fort sur les prix, cela peut mal finir pour certains embouteilleurs. Un ralentissement serait une bonne nouvelle ; cela ne signifie pas qu’il y aurait de nouveau de gros stocks de fûts à bas prix, mais le marché serait plus réaliste.

Dans la tourmente, nous maintenons notre cap : continuer de construire notre réputation par la qualité et le prix de nos embouteillages.

Avez-vous ressenti des difficultés à cet égard au cours des dernières années ? Est-ce plus difficile d’acheter des fûts aujourd’hui, et de maintenir des prix acceptables compte tenu de ces évolutions ?

Depuis 2015, l’évolution est nette. Et pas que pour le prix du whisky : l’ensemble des autres matières premières a lui aussi flambé : carton, verre, sans parler du transport… C’est un challenge de maintenir de bons prix, mais il y a toujours des choix possibles. Par exemple, nous avons pris la décision de ne pas avoir d’étui sur l’ensemble de nos small batch. À l’époque, c’était à contre-courant, mais tout le monde s’y met. Embouteiller des whiskies de grain, des distilleries moins connues, cela fonctionne aussi. C’est un bon moyen de faire descendre le prix pour le consommateur final. Bien sûr, nous sommes contraints de faire bouger les lignes, mais nous lissons les hausses afin de continuer à être compétitifs, et gagner des parts de marché sur des bases saines.

Dans ce contexte tourmenté, l’un des plus importants embouteilleurs indépendants, Gordon & Macphail, a récemment annoncé sa décision d’arrêter l’embouteillage pour se consacrer à sa propre distillerie. Qu’est-ce que cela vous inspire ? N’est-ce pas paradoxal alors que de plus en plus de petits embouteilleurs font leur apparition ?

Tout est question de vision à long terme. La plupart de ces nouveaux acteurs n’ont aucune marge de manœuvre en termes de stocks. Ils achètent ce qui se présente – bien souvent sans le goûter – pour le revendre directement ; si les prix montent, il faut vendre tout de suite un produit très cher. Ce n’est pas comme ça que l’on construit une marque. Chez James Eadie, nous avons dès le départ fait le choix de stocker des fûts, en gardant à l’esprit que le whisky est un marché cyclique. En termes de disponibilités comme de prix, avoir du stock c’est la clé. C’est d’ailleurs ce qui fait la force de maisons comme Signatory Vintage ou Gordon & Macphail, qui pourra s’appuyer sur ses stocks pendant des décennies ! Il faut par ailleurs faire attention à la caisse de résonance des réseaux sociaux : certains embouteilleurs ont sorti un ou deux fûts seulement, mais tout le monde en parle. Il y a vingt ou trente ans, ils seraient passés inaperçus.

Pour ceux qui ne connaissent pas James Eadie, le Lyon Whisky Festival sera l’occasion de découvrir vos whiskies. Quelle est la “patte” de la maison ?

Nous essayons d’offrir une grande variété de profils : sur la gamme small batch, vous trouverez des whiskies accessibles, frais, où le caractère de la distillerie est mis en valeur, idéals pour commencer. Pour les connaisseurs chevronnés, la gamme single cask offre une expérience intense et exceptionnelle : le whisky à l’état de nature !

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