Une saison théâtrale sous le signe du politique

Souvent taxé d'art vieillissant, le théâtre ne cesse pourtant, à l'instar des sociologues ou historiens, d'ausculter le monde contemporain. Cette saison, plusieurs auteurs décryptant la trivialité des rapports sociaux seront portés au plateau. Nadja Pobel


Christine Angot le déclarait fin août au Monde : «il n'y a pas de vérité hors de la littérature». Théâtre inclus. Le festival international Sens Interdits, en prise directe avec les maux du Rwanda, des réfugiés ou de la Russie, en sera une déflagrante preuve en octobre. Plus près de nous, avec la vivacité d'un jeune homme, Michel Vinaver (88 ans) a repris la plume pour signer Bettencourt boulevard ou une histoire de France, une pièce en trente épisodes mettant au jour les rouages de la fameuse affaire.

Ne surtout pas chercher dans ce texte monté par Christian Schiaretti au TNP (du 19 novembre au 19 décembre) des règlements de comptes entre un chef d'État, une milliardaire et un photographe-abuseur, des comptes-rendus judicaires ou de grands discours. Vinaver fait de ses célèbres protagonistes les personnages d'une tragédie grecque contemporaine, remontant à leurs origines et évoquant leur rapport à la judéité, montrant ainsi, loin des polémiques, comment une vieille dame absolument sénile se laisse courtiser par un bellâtre peu scrupuleux. Ce simple jeu d'influence éclaire de façon sidérante la vie de chaque quidam car ce qui se joue dans les secrets d'alcôve de la très grande bourgeoisie relève avant tout de la chose publique. Christian Schiaretti qui, sauf prolongation surprise du ministère de la Culture, rendra les clés du théâtre villeurbannais le 31 décembre 2016, revient là à un dramaturge dont il avait déjà adapté en 2008 l'intégrale de Par-dessus bord pour ce qui constitue, jusqu'ici, sa plus éclatante réussite.

Une autre metteur en scène / directrice propose de se pencher sur l'actualité, cette fois par le prisme d'un texte plus ancien : Claudia Stavisky, co-tutelle des Célestins, montera en mars et mai Les Affaires sont les affaires, pièce de 1903 du pamphlétaire Octave Mirbeau. Cette histoire d'un homme du peuple qui, ayant gravi les échelons pour devenir un riche entrepreneur, s'achète un journal et accéde au milieu politique, donne à voir le reflet d'une société atteinte de folie des grandeurs et oublieuse de ses racines. Et si son auteur se révélait plus contemporain encore que Penelope Skinner, dont Stavisky avait monté la saison passée le décapant (quoique moins subversif qu'annoncé) En roue libre ?

De son côté, Laurent Gutmann ressuscite Machiavel et interroge avec Le Prince (à la Croix-Rousse, du 6 au 16 octobre), texte vieux de 500 ans, la question du pouvoir – comment on le prend, comment on le perd – en entraînant son héros bien né dans un stage de formation où il apprendra à berner son prochain.

Réclamations

Retour à un texte récent voire inédit avec Monkey Money (Célestins, 15 au 25 mars) de Carole Thibault. L'auteur, également responsable de À plates coutures (sur la lutte des ouvrières de Lejaby), repousse cette fois le réel au-delà du présent avec cette fable d'anticipation sur le micro-crédit où, derrière le manichéisme – un homme endetté s'introduit chez des riches qui vivent séparés des pauvres par un mur – se cache une vraie interrogation sur l'ultra-libéralisme et l'homme devenu valeur marchande. Carole Thibault s'engage à mettre elle-même en scène son récit avec, notamment, Thierry Bosc (vu dans La Comédie des erreurs par Dan Jemmett récemment).

Autre dramaturge d'aujourd'hui, Magali Mougel verra son travail sur la fermeture d'Arcelor Mittal, Cœur d'acier (TNP, 8 au 11 mars), mis en scène par le jeune et talentueux Baptiste Guitton, déjà en prise avec la réalité sociale via son appliquée et inspirée adaptation de Lune jaune du Britannique David Greig.

Plus vindicatif encore, et dans une veine héritée du théâtre-récit, le Discours à la nation d'Ascanio Celestini, vigoureusement porté par l'excellent David Murgia et passé par la Croix-Rousse l'an dernier, sera au Radiant (5 mars). Ce spectacle immanquable, d'une cruauté et d'une drôlerie rares, donne la parole à un grand patronat ravivant une lutte des classes plus que jamais constitutive de la société actuelle.

Luttes

Cette segmentation hiérarchique du travail a toujours été en filigrane voire au premier plan des pièces de l'immense Joël Pommerat (Les Marchands, La Grande et Fabuleuse histoire du commerce). Alors qu'il devait créer son nouveau spectacle cet été à Avignon (laissant malgré lui Olivier Py se faire lyncher de façon irraisonnée pour son Roi Lear,  présenté aux Célestins fin novembre), c'est en janvier qu'il sera à Lyon, plus exactement à Villeurbanne, au TNP, pour 17 dates co-programmées avec les Célestins. Avec Ça ira (1),  Fin de Louis, il ose enfin se confronter à l'Histoire, celle de la Révolution, pour ce qui semble être le début d'une longue épopée. Mais attention, prévenait-il lors de la présentation de saison aux Amandiers-Nanterre où la pièce sera créée en novembre, «la fidélité aux détails et anecdotes sera secondaire à l'émotion suscitée par ces événements». On ne demande pas mieux !

Si Vitez voulait faire théâtre de tout, les protagonistes du théâtre d'aujourd'hui font politique de tout, à cette précision près que martèle Pommerat : «Il ne s'agit pas de faire une pièce politique mais une pièce dont le sujet est la politique». Gageons que le grand historien du théâtre Michel Corvin, disparu au crépuscule de l'été, aurait été plus que ravi de voir le résultat de cette prometteuse entreprise, lui pour qui cet art était «d'une subjectivité totalement exaspérée».


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