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Lyon Biere Festival 2025

Un tonneau de plaisirs

8 ans déjà que le Lyon Bière Festival explore la passion de la craft, accompagnant un boom hexagonal sans précédent à partir de la fin des années 2010.

Près de 50 ans, c'est ce qu’il aura fallu depuis la montée en puissance du homebrewing étasunien, établi en réaction à la standardisation des produits, pour que l'on puisse dans nos contrées parler de secteur à part entière.

Ici, la renaissance de la bière artisanale pouvait compter sur une galaxie de traditions bien trempées (bières de garde, trappistes, ales anglaises... : you name it!). Aussi les précédentes éditions du LBF mettaient en avant ces spécificités, bâties à partir de terroirs et de techniques, et propres à chaque genre.

On apprenait par exemple que la Pils - genre ô combien dévoyé par sa distribution industrielle massifiée - avait encore beaucoup à nous dire, pour peu que l'on sache s'intéresser à sa typicité. Mais on découvrait surtout que derrière chaque recette et chaque grande famille de bière (et au-delà des goûts et des couleurs), se tramait toute une continuité de savoir-faire, de récits, d'ancrages, qui ne demandaient qu'à être rembobinés, reconnus, et réinterprétés.

Ainsi nous situons la tâche du mouvement craft : un oeil sur son passé et un autre sur son avenir, établissant une infinité de passerelles entre tradition et expérimentation. Véhiculer et animer des techniques ancestrales (telle la barrique qui est mise à l'honneur cette année), mais aussi pluraliser les pratiques (par exemple avec une offre de bières peu ou non-alcoolisées) pour répondre à de nouvelles attentes. Et pourquoi pas les deux en même temps ?

Car à la croisée de techniques anciennes et du goût pour l'invention qui a toujours animé nos crafteurs, on ne cesse d'inventer des boissons hors-normes, ici barriquées, là infusées, ailleurs sauvagement ensemencées, vieillies, assemblées, ré-houblonnées, gardées... à en perdre la tête !

CAR À LA CROISÉE DE TECHNIQUES ANCIENNES ET DU GOÛT POUR L'INVENTION ON NE CESSE D'INVENTER DES BOISSONS HORS-NORMES

L'année dernière nous évoquions la crise, forcés de constater que la conjonction des restrictions suivant la pandémie de 2020, l'augmentation du coût des matières premières indispensables à l'activité brassicole, et un effet de bulle dans le secteur de la craft, laissait craindre une phase de réajustement dont tout le monde ne ressortirait pas indemne.

Beaucoup avertissaient déjà sur ce retour de bâton, à l'heure où - et bien qu'on puisse aujourd'hui confirmer que la bière artisanale est bien plus qu'un effet de mode - les grands groupes ont décidé d'investir le secteur (ironie du sort). Reste que l'offre, plus que riche, est dans le domaine encore absolument immense.

D'où l'importance d'espaces tels que celui du LBF, assurant à la fois sélection et émulation, et traçant quelques balises sur cette "Terre Bière" qui ne cesse de grossir.

Jean-Christophe de la brasserie croisienne Cambier, pas le dernier en termes de résilience (leurs locaux ont souffert d'un sévère incendie l'année dernière) nous rappelait qu'une brasserie artisanale c'est aussi « une aventure entrepreneuriale ». Manière de garder en tête que si myriades de créneaux, de niches, de modèles sont possibles, l'activité reste - tout en gardant la passion comme boussole - soumise à l'appréciation qu'en feront les buveurs : on parle bien sûr ici de vous !

BARRIQUES

Et si on commençait par le début ? La bière comme fait millénaire, histoire souvent insoupçonnée et encore en chantier.

Si l'on a découvert de premières traces de boissons de céréales fermentées datant du XIIIe millénaire avant notre ère, c'est 9000 ans plus tard, avec la sédentarisation civilisationnelle, que l'orge s'impose dans la recette.

La proto-bière, alors dite sikaru (ou « pain liquide ») n'est pas encore houblonnée (du houblon on ne découvrira les vertus gustatives amérisantes, épicées et florales, qu'au Moyen-Âge central) mais sert déjà de monnaie d'échange et de breuvage rituel (quelle bonne idée !).

On prête plus tard aux Gaulois l'invention du tonneau, ou barrique si vous préférez - cette dernière étant en principe de construction plus légère.

C'est vers le 1er siècle avant J.-C. que l'innovation tonnelière permet donc une maîtrise de la fermentation à nouveaux frais, en plus d'améliorer le transport. Et, si l'encadrement de l'activité et le peaufinage des recettes continuera d'évoluer patiemment des siècles durant, la technologie de brassage restera dans l'ensemble la même, jusqu'à la révolution industrielle (et hygiéniste).

De là, le mystère de la fermentation sera scientifiquement percé et donnera naissance, couplé aux innovations techniques sur la réfrigération, le contrôle chimique, la verrerie, l'acier inox, et j'en passe, jusqu'à la brasserie moderne.

Aussi le chemin parcouru est plus long qu'on pourrait a priori le penser. Et on remarquera qu'avant grosso modo le tournant du XIXe siècle, la bière était affaire de fût (le nom d'ailleurs, vous l'aurez remarqué est resté). En bois cela va sans dire, et encore de chêne le plus souvent. On ne sera donc pas surpris que ce vieux compagnon de l'activité brassicole, le tonneau, soit depuis quelque temps revenu dans les caves, incarnant l'un de ces points de passage de l'ancestral au contemporain.

La tradition est toujours dans l'air, prête à resurgir sous une forme ou sous une autre. En fait de formes, en voici au moins deux que le retour de la barrique renouvelle : la fermentation, où l'activité levurière s'effectue à même le tonneau, et l'élevage (ou vieillissement) où la bière s'affine en échange avec le bois. Techniques d'ailleurs compatibles et qui ont de patients adeptes, à commencer par ceux avides de goûts complexes et d'acidités choisies.

ON GOÛTE, ON SÉLECTIONNE, ON NOTE ET ON CHOISIT LES BIFURCATIONS, AFIN DE NE GARDER QUE LE MEILLEUR

Première offre donc : l'élevage. Souvent ce que l'on connaît le mieux chez ces bières de tonneaux. On parle d'un temps de maturation, de finish diront certains, qui commence une fois que la majeure partie de la fermentation est passée. Alors bien sûr, il ne s'agit pas de le faire dans n'importe quoi. Mais de bénéficier, en plus de la marque du bois (le « beau goût vanillé » du chêne, nous dit Arnaud Popihn), de l'influence d'un ancien locataire.

« Whiskys tourbés, rhums, bourbons, mescals, tequilas... » : leurs contenants ainsi recyclés se prêtent à des affinages brassicoles longs de 8, 12, 16, voire 18 mois pour les jusqu'au-boutistes ! Les tonneaux de "vins forts" font aussi bien l'affaire, comme à la brasserie La Malpolon. Et l'on n'hésitera pas à les dénicher autour de chez soi (Banyuls par exemple, pour ces Montpelliérains). Ainsi ces fûts font passerelles du viticole au brassicole, avec des bières prenant la place de blancs ou de rouges régionaux. « Ça apporte une typicité », « un côté tannique », nous glisse Rémi Gliozzo pour La Malpolon. Le tonneau comme ingrédient à part entière : construire l'affinage d'une bière, tel qu'on le fait depuis longtemps dans le vin et les spiritueux.


Pour la brasserie montpelliéraine la Malpolon, les bières barriquées constituent désormais 20% de la production.

LA RECHERCHE DE COMPLEXITÉ GUSTATIVE - QUE D'AUCUNS JUGERONT FLIRTER AVEC LES LIMITES - S'OFFRE ICI COMME TRAME DE FOND

Mais la symbiose ne s'arrête pas là. Car ces fameux fûts, comme au temps jadis, peuvent aussi accueillir dès le départ la fermentation. Rien de facile dans cette voie, tonnent de concert les brasseurs de Levain (Besançon), Popihn ou Malpolon. Car on fait face au caractère le plus vivant de la boisson. Que l'on choisisse l'ensemencement dit « sauvage » ou « spontané », la patiente reproduction d'un levain « signature » (par exemple chez... Levain !), ou un procédé mixte, la fermentation barriquée reste un travail d'équilibriste. « Il y a toujours des variations », nous confie-t-on chez Popihn, que l'on peut cependant corriger avec des assemblages. Surtout, « il faut faire avec empirisme » : on goûte, on sélectionne, on note et on choisit les bifurcations, afin de ne garder que le meilleur. Ainsi chez Levain on cajole jalousement cette souche vivante qui passe de tonneau en tonneau.

Aymeric Tissot est issu d'une lignée d'artisans du vin naturel et a installé sa brasserie dans une ancienne cave de vinification. Chez lui, la barrique s'est imposée : « ça prend vraiment les levures indigènes, la température est parfaite, l'oxygène plaît à la flore ». Ce dénicheur de « bonnes » bactéries lactiques assume : « il y a moins de différence entre vin naturel et bière naturelle qu'entre vin naturel et conventionnel ». Avis aux détracteurs. Chez Popihn on abonde : les fermentations en barriques donnent « des beaux goûts acides », « plus vineux, avec moins de sucres résiduels ». Jusqu'à presque, si on le veut, « faire s'éclipser le malt », et renouer avec la typicité du vin (« non loin des vins oranges »).

La recherche de complexité gustative - que d'aucuns jugeront flirter avec les limites - s’offre ici comme trame de fond.

On rajoutera encore, au sujet de ces bières tonnelées inscrites entre tradition et avant-garde, qu’ « elles se gardent avant tout très bien » !

SANS ALCOOL

D'une niche à l'autre, on passera des barriques aux bières sans alcools (ou peu alcoolisées). Niche, vraiment ? C'est à en douter, vu l'engouement récent pour l'apéro sans ébriété. Ce n'est pas les new comers de Parallèle (Floirac) qui diront le contraire, soucieux de « proposer des alternatives, sans se jeter dans le sucre (les sodas) ». Faiseurs de kéfirs mais aussi de binouzes à pas plus de 0, 3% d'alcool, ils restent « brasseurs dans l'âme ». On aurait tort de les contredire, tant les procédés restent les mêmes : on brasse, on houblonne, on fermente (sans quoi, nous rappellent-ils, cela « ne pourra pas s'appeler bière »).


Certains brassent de la bière, d’autres du vent, et chez Parallèle on brasse du kéfir.

Il y a deux ans déjà, Christophe de la Fermenterie des Champs Marmo (Seytroux) nous confiait sa passion dévorante pour la fermentation, qui le portait de la bière au cidre, du cidre au kombucha. Comme plus haut avec le vin, l'analogie des procédés ouvre les horizons (ici la fermentation et le brassage). Car pas question de faire autrement qu'artisanalement : la désalcoolisation (chère aux industriels, et chère tout court) étant de toute façon hors de portée des crafters.

Tant mieux, il faut partir d’une démarche authentiquement brassicole, où rien n’est donné vu le résultat attendu.

UN « VRAI ATTRAIT » POUR DES PRODUITS DONT ON COMMENCE À PRENDRE AU SÉRIEUX LA TYPICITÉ

Rappelons-le, la bière est un savant mélange entre sucres fermentescibles (les levures les changeront en alcool), et sucres résiduels (la rondeur en bouche). Tous provenant de la transformation de l’orge concassée et brassée en moût.

Le challenge est alors de se débarrasser des seconds (sinon de les réduire drastiquement), sans trop charger les premiers (on ne veut pas non plus un sirop).

Mais il faut garder en tête que l’alcool a un avantage, c’est qu’il conserve. Sans alcool, le produit sera nécessairement plus fragile et il faudra le pasteuriser. Ou alors en accepter un faible pourcentage : 1, 5 / 2 / 3 %. On parle alors de low-alcohol-beers ou de "micro–bières", comme celle que Cambier propose pour le festival en collab avec Malpolon.

Malgré ces difficultés techniques, l’offre sans-alcool s’élargit. Autant en complément de gamme, qu’en spécialité comme chez Edmond (Pilat) ou Parallèle. Un « vrai attrait » pour des produits dont on commence à prendre au sérieux la typicité.

« Forcément sans l’alcool, il y a moins ce phénomène de chauffe en gorge », comme nous le rappelle Laurent Drège de Parallèle : alors on peut jouer sur les épices (poivre de Timut par exemple).

On abaisse l’orge (pour créer moins de sucres), on peut tester l’avoine, « qui rajoute de la mâche ». Mais pas question d’introduire des poudres de perlinpinpin.

Alors seule l’expérimentation permettra de développer cette branche encore peu explorée du sans-alcool brassicole (le kombucha ayant lui explosé, le kéfir arrivant plus timidement).

Dans tous les cas, il ne s’agit d’opposer ni les publics, ni les boissons, car comme on nous le rappelle : on peut tout à fait se régaler des deux en même temps (enfin, on vous conseille plutôt l’alternance, à moins d’aimer les mélanges !).

Un verre de no-low pour marquer une respiration, et pourquoi pas !?

« On le voit de plus en plus ! » : le dernier mot pour Parallèle.

L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération, dégustations interdites aux mineurs.
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