Avec un drame empruntant la forme d'un thriller social, Asghar Farhadi dresse le tableau accablant d'une société iranienne grippée par ses contradictions et ses non-dits. François Cau
Grande cause défendue par des actrices en robe Chanel dans les prestigieuses cérémonies de festivals internationaux, le cinéma iranien, qu'on se le tienne pour dit, ne brille pas uniquement par ses metteurs en scène muselés, comme en témoigne Une séparation, film implacable dans tous ses degrés de lecture. Déjà auteur du formidable À propos d'Elly, Asghar Farhadi parvient de nouveau à se jouer des conventions, des interdits, et des traditions pour offrir un instantané déroutant dans sa forme et son propos de la société iranienne contemporaine. Tout est posé dès la saisissante intro : Nader et Simin, le couple au cœur de l'intrigue, “négocient“ leur potentiel divorce avec un juge. La scène est filmée en plan-séquence, du point de vue de l'auditeur – les acteurs, troublants de naturel, s'adressent du coup à la caméra. Le procédé passe encore un cran lorsque Simin évoque ce qui la pousse à vouloir quitter le pays, parlant de «la situation». «Quelle situation ?», lui répond-on, et Simin de traduire dans le silence qui suit tout ce que les discours “concernés“ peinent à effleurer.
La lutte déclasse
Ce prologue puissant n'est que l'installation des drames à venir. Suite au départ de sa femme, Nader engage Razieh, une aide domestique, pour s'occuper de son père atteint d'Alzheimer. En retrouvant un jour ce dernier à terre, attaché au radiateur, Nader congédie brutalement Razieh en la poussant hors de chez lui. La jeune femme est admise à l'hôpital : elle vient de perdre l'enfant qu'elle portait, déclenchant la fureur de son époux vis-à-vis de son ancien employeur. Et la tension, nourrie par des coups de sang et incompréhensions dévorantes entre ces couples de classes différentes, de croître dans des proportions incontrôlables. Dans ce sinistre imbroglio, Asghar Farhadi ne prend jamais clairement parti, mais s'attache à tous ses personnages. Jouant du paradoxe entre un scénario extrêmement rigoureux et une mise en scène alerte, le réalisateur multiplie les perspectives pour mieux construire un suspense de plus en plus étouffant, rythmé par des allers-et-venues chez les représentants de l'ordre. L'important n'est pas tant d'établir telle ou telle culpabilité, mais d'inscrire ces troubles dans un contexte dictant, par son poids aliénant évoqué entre les lignes mais présent comme un personnage à part entière, chacune de leurs réactions. Un véritable tour de force, d'une intelligence et d'une subtilité rares, qui laisse le spectateur KO.