Pendant que la caméra remonte les rues de Los Angeles direction Sunset Boulevard et une de ces grandes villas où vivent les stars du cinéma, le narrateur du film se présente en voix-off : Joe Gillis (William Holden), scénariste à la rue dans une ville où l'on en croise dix à chaque carrefour. Surprise : on finit par le découvrir à l'image flottant sur le ventre dans une piscine comme un poisson crevé.
Quoi ? Un mort qui parle ? C'est le premier tour de force de Boulevard du crépuscule — proposé en mars dans le cadre de la Ciné-Collection du GRAC : sa narration d'outre-tombe, comme si Gillis se remémorait le film de sa vie en accéléré, et plus précisément le moment fatal où il a atterri chez Norma Desmond, diva du muet sacrifiée sur l'autel du parlant, attendant désespérément de faire son comeback — ce qui est peu ou prou la réalité de son interprète, Gloria Swanson. Elle aussi est un fantôme, sa disparition des écrans s'apparentant à une forme de mort civile. On en croisera d'autres au cours du film, comme Buster Keaton dans son propre rôle ou Erich Von Stroheim dans celui d'un majordome impavide gardant les secrets de la star mais aussi, métaphoriquement, ceux de l'âge d'or hollywoodien.
Wilder, dans un noir et blanc anachronique renvoyant autant à l'expressionnisme allemand qu'au genre noir dans lequel le film s'inscrit, signe ici le pendant sombre et cruel de Chantons sous la pluie, tourné un an plus tard : la mutation technique d'un art produisant une suite de tragédies humaines. C'est aussi une réflexion acide et lucide sur le métier d'actrice, où l'on n'existe que par le regard de la caméra et du spectateur, dont Wilder écrira l'épilogue funèbre avec le pour le coup crépusculaire Fedora.
Christophe Chabert
Boulevard du crépuscule
De Billy Wilder (1951, ÉU, 1h50) avec William Holden, Gloria Swanson...
Dans les salles du GRAC, jusqu'au 31 mars (www.grac.asso.fr)