Parcs Naturels Régionaux / À l'heure de la biodiversité bafouée, d'un État irresponsable, les parcs naturels régionaux constituent une terre de résistance et d'expérimentation, sans pour autant être soumise à des interdits. Comment préserver sans bannir l'humain, comment inventer des liens entre ruralité et urbanité ? Michaël Weber, président de la fédération des Parcs naturels régionaux de France, fait le point.
Pour quelles raisons, en 1967, le Général de Gaulle initie la création de ce label de Parcs naturels régionaux ?
Michaël Weber : À l'époque, il y avait une fragilité des territoires ruraux. Nous étions dans une France bien après guerre qui connaissait un mouvement de désertification rurale et d'urbanisation. Il y avait deux constats : d'une part les territoires ruraux étaient en plein décrochement et, d'autre part, les urbains considéraient bien souvent les espaces ruraux comme récréatifs. C'est la combinaison des deux, à l'issue d'une mission conduite par la DATAR (délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale) qui en discutant avec les habitants, les élus, les acteurs locaux, a abouti à la création de ce statut de parcs naturels régionaux. Le général de Gaulle était tellement intéressé qu'il a souhaité signer personnellement ce décret.
Comme s'inscrivent ces PNR dans la cartographie des labels qui contient aussi des Parcs nationaux des sites inscrits, classés ?
À l'époque, les sites inscrits, classés, les réserves naturelles en étaient à leurs balbutiements. Les PNR ont une façon de mettre en valeur les patrimoines culturels et naturels en constituant des éléments de développement. Nous nous inscrivons dans la protection de ces patrimoines non pas pour les mettre sous cloche ou les sanctuariser, mais pour en faire des éléments de développement. Ce qui différencie les PNR des parcs nationaux est que ceux-ci restent à mon sens beaucoup plus axés sur la protection des patrimoines et non pas sur le développement, alors que les PNR, en associant l'ensemble des acteurs locaux, ont cette dimension de développement local inscrit dans leurs gènes.
Aujourd'hui, il y a 53 PNR, quel est leur point commun alors que chacun a une gouvernance différente ?
Les typologies sont très différentes (plus ou moins ruraux, forestiers...). Ils ont en commun d'être des territoires d'innovation et d'expérimentation au delà de la qualité paysagère. Le label est délivré pour quinze ans. Certains l'ont perdu et retrouvé (Marais-Poitevin) ou ont du mal à le retrouver (la Corse qui n'est plus classée depuis sept ans parce que les acteurs locaux ne le souhaitaient pas ou parce que l'exigence des examinateurs n'est pas en adéquation avec le projet de territoire présenté).
Vous avez fait une grande opération de communication en octobre, "Destination Parc" au village Bercy. Comment articuler la protection du territoire avec la volonté d'attirer plus de touristes ?
C'est de la dentelle. Il faut examiner au cas par cas. Par exemple, sur un site où on pratique l'escalade en pleine nature et qui peut avoir un impact sur l'environnement (faire fuir les oiseaux nicheurs comme les rapaces), on se met d'accord avec les acteurs de ce sport (la fédération d'escalade) pour déterminer des voies ouvertes et d'autres protégées, pour permette à ces oiseaux de s'installer. Idem sur la question des cours d'eau... On essaye en permanence de trouver des solutions à des cas particuliers, car on ne peut pas comparer un territoire marécageux comme la Bruyère à l'Aubrac, très rural, ou la Chartreuse, avec des vallées urbanisées. Il faut toujours se poser la question de comment maintenir la biodiversité ou permettre son retour. Le gypaète barbu, un grand et bel oiseau, est revenu dans le parc des Baronnies provençales, en Vercors et Chartreuse.
Comment mesure-t-on l'impact d'un label ?
C'est très difficile, car on a des durées de vie de parcs très différentes. À l'occasion des 50 ans des parcs l'an dernier, on a fait une étude et on s'est aperçu que les territoires qui sont classés PNR, comparativement à d'autres qui ne le sont pas, artificialisent moins les sols, il y a moins d'étalement urbain. En matière d'agriculture, nous avons créé une marque qui s'appelle Valeur PNR. Aujourd'hui, ce sont 2500 produits agricoles ou touristiques qui sont marqués. Cela a un réel impact économique sur les bénéficiaires. Dans le PNR de la Chartreuse, un travail mené pour une labellisation de "bois de Chartreuse" a permis de concrétiser la demande de circuits courts exprimée par la population. Les PNR et parcs nationaux sont reconnus aujourd'hui comme étant les territoires qui vont le plus loin dans l'évaluation de leur politique publique, car dans la révision de la charte nous avons tout un volet qui concerne cela avec des indicateurs précis.
Quel en est le coût ?
Souvent, on dit que les PNR mobilisent trop de fonctionnement. Mais c'est une analyse administrative et budgétaire, car en réalité nous avons une ingénierie de territoire qui contribue à la levée de moyens financiers venant de l'Europe, des Régions (NdlR, principal financeur), de l'État qui permettent de réaliser des projets. Renaud Muselier, président de la région PACA, exprimait il y a peu lors de l'inauguration du PNR de la Sainte-Baume qu'un euro investi engendrait une retombée de sept euros. Et ça peut aller au-delà.
Y a-t-il des régions (principal financeur des parcs) plus compliquées à mobiliser que d'autres ? Laurent Wauquiez en 2016 s'était opposé à la création du parc du Haut-Allier.
C'est vrai, mais désormais, je me réjouis de la délibération très positive prise par Auvergne-Rhône-Alpes en juin sur la politique des parcs. La région a porté un texte stratégique d'orientation pour les années à venir (NdlR : la région a annoncé en assemblée plénière le 14 juin dernier son ambition de « donner un nouvel élan » aux dix PNR de son territoire, en mettant en place un projet pluriannuel d'investissement et en apportant aux parcs « une visibilité dont ils ont besoin » avec un plan triennal 2018-2020 sanctuarisant le budget de fonctionnement et relançant l'investissement avec prévision de campagne de promotion de ces parcs).
Combien y a-t-il de parcs nationaux en gestation ?
C'est difficile à dire. On peut imaginer que d'ici 2020 il y ait quatre ou cinq nouveaux parcs. Celui du Médoc pourrait être le prochain, Picardie maritime ensuite. Il y a aussi le projet du parc de Belledonne, ça avance mais moins vite que ce qu'on a connu à une époque. Il mériterait d'être classé.
Fin mai, vous interpelliez l'opinion sur l'utilisation du glyphosate, affirmant que les députés n'étaient pas à la hauteur de l'enjeu. Quel peut être le rôle politique de votre fédération ?
Quand on représente 20% du territoire français engagé dans la biodiversité, on une responsabilité de sensibiliser et d'alerter nos élus et habitants sur les enjeux d'avenir. Trop souvent on oublie que l'humanité n'est qu'un élément de la biodiversité et qu'une biodiversité affaiblie signifie que notre espèce est menacée. Ce qui est alarmant, c'est l'accélération de la perte de cette biodiversité. Mais, au niveau des PNR, on ne peut pas tout. On peut décider que nos territoires sont sans OGM mais on ne peut pas imposer trop de mesures aux acteurs privés. On utilise nos outils au maximum et c'est pour cela qu'on a dénoncé les actes des parlementaires. Mais ils ont aussi leurs responsabilités. Nous pouvons donner notre analyse, renseigner sur des pratiques alternatives.
Y a-t-il le même type de dispositifs en Europe ?
Nos voisins ont pour certains (Wallonie, Luxembourg, Suisse, Norvège...) strictement copié le texte de loi français. On est beaucoup sollicité à l'international. Il y a un mouvement assez général et on s'aperçoit que les parcs nationaux créent des problèmes, car souvent il y a des oppositions entre parcs nationaux ultra protégés et fermés au public et les populations qui sont à proximité qui ne comprennent pas cette différence entre le territoire où ils vivent et le territoire voisin. De plus en plus d'acteurs viennent nous voir pour savoir comment on a réglé cette question entre la population et la protection nécessaire du territoire. Certains s'en inspirent. D'autre copient.
Votre prochain congrès cet automne, dans le Pilat, mettra en avant le maillage entre territoires urbanisés et ruraux. Est-ce-ce l'enjeu d'avenir ?
L'enjeu est de montrer l'interdépendance entre ces territoires. On est dans une période qui nous inquiète par sa fracture territoriale, où l'on a tendance à opposer ceux qui auraient tous les services, l'accès à la culture, à l'économie et ceux qui ne l'ont pas. On pense qu'il faut recréer ce lien. Les urbains nous sollicitent sur les questions d'alimentation, le tourisme, les filières courtes. Il faut qu'on retrouve une contribution réciproque car il n'y a en réalité pas de fracture. On voudrait créer de nouveaux projets partagés entre ville et campagne. On va y travailler.