Théâtre / En adaptant un texte abracadabrantesque, Laurent Fréchuret livre un spectacle poussif dans laquelle la soi-disante loufoquerie vire à la caricature malgré des comédiens de haut-vol, Vincent Dedienne et surtout Jean-Claude Bolle-Reddat.
Tout commence pourtant bien. Nous sommes, nous annoncent des projections de texte, à la fois à Turin entre 1888 et 1889 avec Nietzsche mais aussi à Paris en 2001, post 11-Septembre. Deux pôles, deux récits auxquels se cognent des comédiens anglophones de la deuxième situation comprenant vite qu'ils se sont trompés de pièce. Ce décalage immédiat avec l'objet théâtral est non seulement comique mais aussi jubilatoire : bienvenue dans les arcanes de la fabrication du spectacle !
Rideau de velours rouge, portes mobiles sur roulettes, humour noir sur des enfants traités comme des bêtes et délire d'Ervart qui, fou de jalousie, mitraille à tout-va. Il attaque un peuple dont l'absence physique sur scène est remarquée par une comédienne qui cherche du travail (!). Labiche est à peine entrevu que déjà la pièce le dépasse et fait la jonction avec notre époque (les attentats ne sont pas loin). Prometteur.
Ervart ou la finesse au placard
Problème : le rythme de cette création, née la semaine dernière à la Comédie de Saint-Étienne et bientôt en place au Rond-Point à Paris, s'essouffle très rapidement dans des scènes surlignées voire grossières. Ervart (Dedienne, bon élève) est poursuivi ad nauseam par une ombre (l'amant supposé de sa femme), ses paranoïas ridiculisées (son épouse mimant très grossièrement des gestes d'actes sexuels) et son jouet érotique (l'actrice qui cherche un travail) discrédité par un accoutrement grotesque de prostituée. Bien sûr cette pièce est une farce, qui d'ailleurs n'emprunte le nom de Nietzsche que pour se donner une fausse contenance et offrir un numéro de claquettes incongru, mais ceci ne justifiait pas un tel bégaiement sur le plateau.
Même l'épisode du pique-nique, annoncé à grands renforts de suspens par un maître de maison parfait (Bolle-Reddat d'une constante justesse quels que soient ses rôles) déçoit par un décor pauvre (des images d'arbres projetées en fond de scène, des aplats de lumières de soleil à travers les feuilles au sol) malgré des lumières au cordeau. Les dialogues s'étirent ; les comédiens sont en roue libre, Vincent Dedienne pousse même la chansonnette... Pourtant, si certaines séquences avaient été resserrées et surtout moins surjouées, la saveur de la dinguerie des protagonistes, imaginés par le français quinqua Hervé Blutsch, aurait peut-être été rendue plus accessible et un tant soit peu touchante comme lorsque le metteur en scène lorgne sans entrave du côté des comics avec les images de la Warner bros.
Ervart ou les deniers jours jours de Nietzsche
Au Théâtre de la Croix-Rousse du mardi 9 au samedi 13 octobre