Exposition / Gardienne d'enfants, photographe autodidacte et parfaite inconnue de son vivant, Vivian Maier est devenue en quelques années une figure mythique de la photographie. Le musée de l'Ancien Évêché lui consacre une exposition, "Vivian Maier, street photographer", tirant profit du fait qu'originaire du Champsaur, elle est passée dans la région au tout début des années 1950.
Ce qui est sidérant avec Vivian Maier, c'est qu'on ne se lasse pas de découvrir ses photographies. On a beau savoir qu'elles sont plutôt réussies, on est perpétuellement émerveillé par l'exigence du regard qu'elle porte sur l'Amérique urbaine des années 1950-1960. Ses clichés ne sont clairement pas le fait d'un coup de chance : les planches-contacts présentées dans l'exposition permettent de s'en assurer. Elle ne tergiverse pas, va droit au but, consacre à tout casser deux photos à un même sujet – on est loin de la surenchère de clichés à laquelle le numérique nous a désormais habitués.
Bien que déterminée lors de ses prises de vues, l'Américaine navigue entre différents styles. Tout à fait à l'aise dans une approche formaliste valorisant des compositions éminemment graphiques qui confinent à l'abstraction, elle peut aussi bien se revendiquer d'un certain "style documentaire", frontal, direct et sans effets de cadrage, ou d'une photographie plus humaniste, valorisant les individus. L'exposition présente par ailleurs une série remarquable de photographies couleur qui révèle sa capacité à tirer parti de ce procédé à une époque où le monde de la photographie considérait que, vulgaire, il était tout juste bon à faire des images publicitaires.
Que penser de ces images ?
Si cette exposition est la deuxième consacrée à Vivian Maier sur le territoire grenoblois (elle était présentée au Mois de la Photo en 2015), c'est notamment parce que sa mère est originaire de la région et qu'elle a eu l'occasion de séjourner dans le Champsaur au tout début des années 1950. Une section de l'exposition présente une dizaine de clichés pris à l'occasion de ce séjour : des portraits de villageois réalisés avec leur consentement, à la différence des photographies américaines nettement moins posées. Car c'est en effet aux États-Unis, à New York jusqu'en 1955 puis à Chicago, des villes dont la photogénie des rues a marqué l'histoire de la "Street Photography", que son regard va s'aiguiser et son approche s'affirmer. Sur l'Amérique toute puissante de ces années-là, elle porte un regard distancié qui oscille entre témoignage, agacement et amusement : des enfants espiègles, parfois pleurnichards, de fiers ouvriers, quelques bourgeois méprisants, un clochard recroquevillé... Que penser de ces images ? Á vrai dire un peu ce qu'on veut puisque, découvert après son décès, la photographe n'a jamais été là pour nous orienter sur ses intentions. Toutefois, il apparaît clairement qu'elle porte majoritairement son attention sur des personnes de conditions modeste dans lesquelles on imagine qu'elle pouvait se reconnaître, elle qui n'a jamais cessé d'être gouvernante pour enfant.
L'obsession des autoportraits
Il y a toutefois un sujet qui la taraude et qu'elle questionne depuis les premières images en Champsaur jusqu'aux plus récentes photographies en couleurs : sa propre identité. Parmi le nombre considérable de clichés qui constituent l'archive découverte en 2007, deux ans avant son décès, près de 30 % sont des autoportraits. Un sujet obsessionnel qu'elle parvient magistralement à renouveler grâce à des jeux de miroir complexes, des reflets inattendus ou des ombres portées envahissantes qui permettent de subtiles mises en abyme. L'exposition a fait le choix pertinent de ne pas regrouper ces autoportraits dans une section dédiée mais, au contraire, de les disséminer tout au long du parcours. Ainsi, au fil des images, la silhouette et le visage de Vivian Maier apparaissent de manière affirmée ou au contraire furtive et fantomatique. Son regard tout à la fois concentré et parfaitement absent amplifie encore et toujours plus le mystère de sa personne dont on sait finalement peu de choses. Comme si ces autoportraits étaient une façon pour cette femme discrète et sans attache de s'affirmer à elle-même qu'elle existait, de se donner une forme de visibilité sociale.
Vivian Maier, street photographer
Au musée de l'Ancien Évêché jusqu'au 15 mars