La Route de Babel

La Route de Babel
Jean-Louis Murat & le Delano Orchestra

Parc d'Uriage

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

La tournée "Toboggan" à peine (ou même pas) achevée, Jean-Louis Murat poursuit sa route avec l'excellente formation post-folk clermontoise The Delano Orchestra. Pour une tournée passant par le festival Uriage en voix d'abord, mais aussi avec "Babel", foisonnant double-album à paraître le 13 octobre. Stéphane Duchêne

Lors d'un entretien réalisé en mars 2013 avec Murat pour la sortie de Toboggan, le Bourboulien nous confiait son ras-le-bol des automatismes inhérents à l'enregistrement en groupe. Raison pour laquelle il s'était alors isolé pour donner naissance à un disque comme patiné par cent ans de solitude, pour ne pas dire cent hivers éternels. Un Toboggan si vertigineux qu'on ne pouvait qu'acquiescer à ce « caprice » muratien.. Mais le grand amateur de football – celui d'avant, celui des fougueux avants cavalant cheveux au vent – n'est, on le sait, avare ni de contre-pieds, ni de coups du foulard. Et c'est en changeant radicalement de tactique (ou, comme on dit aujourd'hui, d'animation offensive) qu'il a accouché les chansons du successeur de Toboggan, s'offrant non seulement un groupe, mais en plus pas le moins fourni – six membres solides comme des rocs : The Delano Orchestra, chef de file de la scène clermontoise tant célébrée il y a quelques printemps.

 

Au départ, en décembre dernier, il ne s'agissait que de répondre à l'invitation, faite par Didier Varrod de France Inter, d'un concert exceptionnel sis à la Coopérative de Mai, chaudron musical clermontois, à l'occasion des cinquante ans de la radio. Plus qu'enthousiasmé par le résultat, Varrod glissait à Murat et au Delano l'idée de prolonger pour quelques dates estivales, de festival en festival. Pas la pire des idées tant le projet live donne alors un souffle plus ravageur à Toboggan que l'attelage guitare-batterie jusqu'ici proposé un peu chichement et surtout à contre-emploi. De là à envisager de poursuivre jusqu'en studio il y avait un grand pas... Mais le fait est qu'avec Murat, on n'envisage pas très longtemps : on se retrousse les manches, on sort sa bite et son couteau et on pisse de la copie et de l'accord sur les genêts à peine en fleurs. Le chanteur avait 20 chansons en attente pour un double album, elles ont été enregistrées en 9 jours à Clermont.

 

Cacophonie


Mais plus qu'une association, Murat a en réalité cornaqué le Delano. Ce bien sont ses chansons qui figurent sur le dénommé Babel. L'Orchestra (plus Morgane Imbeaud et, sur un titre, le vieux complice Oren Bloedow) n'étant là pour rien d'autre que jouer – ce qui est déjà énorme tant les cuivres, le violoncelle et les envolées western du groupe, son habitude de laisser la musique couler et épouser les obstacles donnent là encore un relief majestueux aux chansons du Maître.

 

Sur un titre déjà subrepticement dévoilé avant l'été, Chacun vendrait des grives, l'équipée déboule, sauvage, dévale le Puy-de-Dôme comme on se parachuterait de la Tour de Babel. La référence peut paraître évidente, trop peut-être, Murat concédant un possible renvoi à cette cacophonie du temps, dont lui-même se trouverait prisonnier : adossé aux anciens parlant encore le patois et faisant face à une jeune garde – symbolisée par les membres du Delano – chantant en anglais, ne jurant que par le rock anglo-saxon, comme lui dans sa jeunesse. Un grand écart, une schizophrénie personnelle, qu'en obsessionnel du verbe français, il a de plus en plus de mal à assumer et qui l'effraie : « Pour réaliser une idée, ajoutait-il en référence à l'épisode biblique, il faut parler la même langue. »

 

 

La Bibliothèque de Saint-Babel


Sauf que derrière l'exégèse en libre association se cachent les évidences d'un terrien qui ne regarde guère plus loin que le bout de chemin vicinal qui dessert son enclos. Si le disque se nomme Babel, c'est tout simplement en hommage au village quasi voisin de Saint-Babel, 900 habitants. Chez Murat, on est toujours un peu dans Strip-tease au Mont d'Or, version western Arverne. Sans doute parce que son inspiration se ramasse au ras de ses quatre murs, comme on récolte les légumes de son potager, comme on collecte pour un herbier. Et pourtant, derrière ce recours habituel à la toponymie locale (Chamablanc, Crest, Sancy, Chambon, vallées et montagnes, faune et flore) qui fait de la géographie une histoire et inversement, se joue cette articulation entre le proche et le lointain, le familier et l'inconnu, les mondes d'où l'on revient et ceux que l'on déserte : « Il est temps partons, fuyons ce roman (...) Quittons cet exil que me font les chansons / Vivre, vivre, aimer tout dire et chaque nuit manger la proie et l'ombre » chante-t-il sur Long John, adressé au héros de L'Île au Trésor, qui a bercé tant d'enfances.

 

Et le chanteur a beau dire « J'ai fréquenté la beauté, je n'en ai rien gardé (...) J'ai fréquenté la santé, je n'en ai rien gardé », il s'avère que depuis Grand-Lièvre, son antépénultième album, l'Auvergnat est dans une forme plutôt éblouissante – proche d'un autre de ses double aux accents bibliques, Lilith – pour ce qui est de décliner tout un éventail de chants d'amour et de comptines, d'oraisons et d'odes à la nature, de récits d'échappées volontaires rattrapées par la réalité. Bref, de nous bercer de ses tics aussi agaçants pour les uns qu'envoûtants pour les autres. Sans doute parce chaque album de Murat est comme un ouvrage de La Bibliothèque de Babel de Borgès : il contient, dans un ordre parfois imperceptiblement différent, parfois sens dessus-dessous et livrés en vrac, les mêmes signes sans cesse réagencés d'une inspiration aussi labyrinthique qu'inépuisable.

 

Jean-Louis Murat & The Delano Orchestra, samedi 6 septembre à 21h, au Parc d'Uriage. Dans le cadre du fFestival Uriage en Voix.

 

« Babel » (Scarlett / [Pias] Le Label), disponible le 13 octobre.

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