Luc Besson sur DogMan : « Ce film est quasiment impossible à faire »

DogMan / Quarante ans après son premier long métrage Le Dernier Combat, Luc Besson a présenté à la Mostra de Venise DogMan où il prouve qu’il n’a rien perdu de son sens esthétique ni de son goût pour les héros sacrificiels. Tête-à-tête avec un réalisateur insubmersible.

En mettant DogMan en relation avec vos autres réalisations, on en vient à se demander si vous n’êtes pas un mystique…

Luc Besson : Mais est-ce qu'on est obligé de les mettre en relation ?

Une œuvre, c'est une globalité…

Mais elle n'est pas finie !

Ça ne veut pas dire qu'elle est finie : c'est un processus, un work-in-progress

Je ne sais pas. Personnellement, je ne regarde jamais derrière. J'ai encore deux, trois trucs à faire, donc que j’essaye de faire. Je me suis toujours dit qu'à 80 ans, avec mon ami Jean Reno et Eric Serra, on se mettrait autour de la cheminée. Et là justement, on commencera à essayer de comprendre les lignes de ce que l'on a fait, etc. Mais pour l'instant, je n'ai pas de recul du tout… Je ne sais pas, en fait…

Le fait de ne pas vouloir regarder son passé – de le fuir ? – vous le partagez avec le personnage de Douglas, le DogMan du film…

Ce n’est pas tellement qu'il le fuit, c'est qu'il n'en a pas. Il n'a pas de passé émotionnel, on ne lui a pas appris à aimer. Et donc il va falloir qu'il survive, ce gamin ! Heureusement, à 10 ans, il trouve cette prof de théâtre qui va lui donner la solution. C'est la solution qu’il y a chez les artistes : si tu n'aimes pas forcément ton reflet, fais-en un autre ! Un acteur dans sa vie quotidienne d’acteur n’est pas forcément heureux, mais quand le soir il joue Richard III, il a l’impression d’être un roi. Son seul bonheur dans la vie, c’est de jouer, c’est d'être quelqu'un d'autre. Peu importe qui c’est : un mendiant, un roi, une chanteuse, une femme, un arbre, un fleur, mais être quelqu’un d’autre.

C’est assez touchant et ça m’intéressait parce que qu’on sait tous, tous autant qu’on est, ce que c’est que la douleur : on a tous perdu un être cher, un chien ou un travail. La douleur ; c’est ce qui nous lie. Et lui, il s'en est prêt un bon paquet ! Mais comment on fait pour s'en sortir ? Qui est-ce qu'on devient après cette douleur ? Est-ce qu'on devient Mère Teresa ou est-ce qu'on devient un terroriste ? On a le choix. en fait. Lui choisit d'être bon. Il a un peu ce côté Forrest Gump : il va avoir mille vies, plus ou moins drôles – certaines sont quand même assez drôles. C’est un petit mélange de Forrest Gump et d’Elephant Man : on le croit monstrueux mais en fait il est humain et aimable, mais les monstres sont en fait autour de lui.

Comme dans Freaks : celui qui est monstrueux n’est pas forcément celui que l’on croit

Freaks c'est un peu l’extrême (rires). Frankenstein aussi.

Vous disiez que vous n’aviez pas forcément de regard sur le passé ; ce film est cependant quasiment entièrement construit sur un flashback permanent — donc sur le passé. Il montre également l’importance des œuvres passées pour l’édification des œuvres à venir (la prof de théâtre dit que tout repose sur Shakespeare) ; la B.O. du passé aide également à construire les ambiances du récit. Bref, sans ce passé, on n’est rien…

En fait, c’est un peu monté comme un polar. On vous donne un élément au départ et on se dit : « Mais pourquoi il est dans cet état-là ? Qu'est-ce qui lui est arrivé ? » Après, pendant 10 minutes, on regarde ce qui lui est arrivé. « Mais comment il est sorti de sa cage ? » On veut savoir comment il est sorti de la cage. « Mais après, il a fait quoi ? » etc. Si on mettait l'histoire de façon linéaire, je pense qu’elle aurait moins d’intérêt. Là, c’est à peu près la même structure qu’Elephant Man. D’abord, cette espèce de personne qui fait peur, et puis on s'aperçoit que non, il n'y a aucune raison d'avoir peur de lui. C'est vraiment un polar jusqu'au bout et je pense que pendant tout le film, on se dit : « Mais qu'est-ce qui va se passer ? »

Pour revenir à la question initiale du mysticisme (qui vous habite peut-être ou non), en quoi est-ce que les anges-gardiens vous fascinent — puisqu’il y en a quand même un certain nombre dans vos films, à l’image de votre DogMan ?

C’est aussi un Cerbère, envoyé par Dieu pour garder l’Enfer. En même temps, on l’a “jeté aux chiens”, mais c’est ce qui lui a sauvé la vie. Ces chiens-là ont un amour inconditionnel pour l'Homme. C'est une phrase que j'aime beaucoup dans le film, « les chiens ne mentent jamais quand ils parlent d’amour ». C’est les chiens qui vont lui apprendre à aimer, puisque personne d’autre ne lui a appris, en fait. Donc il va apprendre à aimer, de façon inconditionnelle.

Vous placez à la fin du générique un remerciement particulier à Matteo Garrone…

Vous avez tout lu ! Matteo a fait un film il y a quelques années qui s’appelait Dogman. Donc j'ai appelé Matteo : « Voilà, est-ce que tu me autorises, j'aimerais bien appeler le mien DogMan… » Et il m’a fait : [avec l’accent italien] « ma, mais si c’est pour toi, il n’y a pas de problème ! » J'ai été le voir à Rome, on a passé du temps ensemble — c’était son anniversaire en plus… À mon avis, c’est peut-être le meilleur metteur en scène italien dans les nouvelles générations. Et comme tous les grands, ils ont toujours beaucoup de générosité, beaucoup de simplicité. Donc ça s'est fait juste comme ça, en s’appelant. Et je le remercie parce que je ne voyais vraiment pas comment j’allais l’appeler, sinon (rires). En même temps, son film est beaucoup plus dur que le mien, et il n’y a pas d’inspiration d’un film à l’autre, ça n’a rien à voir…

Il y a un braquage, mais qui n’est pas du tout le même.

Oui c'est pour ça que je pense que ça ne le gênait pas de prêter son titre.

Son Dogman avait reçu le Prix d'interprétation masculine à Cannes pour Marcello Fonte…

Ah il avait eu le Prix ? Je ne savais pas.

…et votre DogMan, Caleb Landry Jones, l'avait reçu pour Nitram. Est-ce par ce film que l’avez découvert ?

Non, généralement, les acteurs c'est la rencontre : on repère quelqu'un, on le rencontre. Dans notre cas le film est quasiment impossible à faire. Quand on ouvre le script, qu’on le lit, on se dit que ça va être un calvaire. Parce que quelqu'un qui change cinq-six fois de personnalité avec 120 chiens toute la journée, c'est pas possible ! Mais Caleb, au bout trois-quatre rendez-vous, on a appris à se connaître. On avait la même sensibilité. Il avait une enfance très solitaire, moi aussi ; il avait un chien, moi aussi. On avait plein de points communs et quand on a bien “cliqué”, je lui ai donné le script. Il ne savait pas que je le voyais pour ça, en fait. Et quand il l’a lu, il m’a dit : « comment on va faire ? » (rires) Et on a démarré… On a pris la tâche monumentale, on l’a découpée en plein de petits morceaux. Et tous les jours, on a fait un petit morceau. C'est la seule façon d'arriver à le faire, en fait : faire le travail d'une fourmi ; résoudre les problèmes les uns après les autres. On a préparé pendant six mois avec Caleb — je ne parle même pas de la préparation du film, mais celle de son personnage.

A-t-il réussi à sortir de son personnage ?

Oui, parce que c'est un grand acteur. Et un grand acteur, il a une valise avec tout son passé, ses douleurs, ses joies. Et quand il a besoin d'ouvrir la valise pour se mettre un costume pour un rôle, il l’ouvre, mais il sait la refermer. Les acteurs un peu plus jeunes – qui se livrent et qui donnent beaucoup de souffrance –  ont souvent des problèmes parce qu'ils laissent la valise ouverte et donc c'est la valise qui commande. Pas Caleb : lui, il sait bien le faire. Il a une grosse valise bien chargée, mais il sait l'ouvrir et il sait la fermer.

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