Mort d'un clown

Philippe Faure, acteur, metteur en scène, auteur et directeur du Théâtre de la Croix-Rousse depuis 1994 est décédé samedi 18 juillet à l’âge de 58 ans. Portrait d’un homme de théâtre atypique. Dorotée Aznar

«Je suis issu d’une famille traditionnelle où on ne m’a jamais demandé mon avis». Philippe Faure s’est bien rattrapé par la suite. Né à Lyon en 1952, Philippe Faure crée la Compagnie de la Goutte en 1974. Vingt ans plus tard, en 1994, il décide de s’installer dans les anciens locaux de la Maison de la Danse, délocalisée dans le huitième arrondissement. Là, sur la colline de la Croix-Rousse, place Joannès-Ambre, il fonde ce qui deviendra le Théâtre de la Croix-Rousse et réussit à se faire nommer à la tête de ce nouvel établissement. Là, Phillipe Faure va tenter de rompre avec un théâtre qui «se prend au sérieux», imposant sa personnalité atypique dans un paysage culturel policé. Auteur, acteur, Faure met en scène ses propres textes, mais aussi des classiques et des textes non écrits pour le théâtre. Il ouvre également son outil à des metteurs en scène régionaux : Emmanuel Meirieu, Bruno Boëglin… et n’hésite pas à proposer à son public des programmations où noms aguicheurs et créations contemporaines se côtoient. Très présent dans son théâtre, sa «maison», Philippe Faure ne manque jamais une occasion d’accueillir le public et de venir et sa rencontre. La recette fonctionne à merveille et, en 2010, le théâtre compte près de 10 000 abonnés. La nature extravagante du directeur n’y est pas étrangère.SALE GOSSE
Tous ceux qui ont connu Philippe Faure le décrivaient comme une personne attachante et excessive. Dans sa quête d’amour et de reconnaissance, Philippe Faure supportait aussi mal la critique qu’il la sollicitait fortement. On se souviendra de ses emportements et de ses colères, de cette façon toute personnelle de vous demander votre avis, sans attendre de réponse : «c’est génial, hein ?» ; tout ce qui faisait de lui un grand enfant. En faisant le choix de la provocation, arborant déguisements en tout genre lors des présentations de saison (Père Noël, ballerine, Superman...), Phillipe Faure s’était rapproché de son public mais éloigné des autres directeurs de structures culturelles locales qui l’ignoraient poliment dans leur grande majorité ou raillaient cette approche populaire, voire populiste, du théâtre. Faure le savait, il en souffrait et se justifiait quand il le pouvait, s’épanchant sur son blog, ouvert en 2008. «Bon nombre de mes camarades se scandalisent d’une telle désinvolture, ironisent et condamnent. Or, et je l’ai souvent dit, écrit et expérimenté, le ridicule est le passage obligé pour toucher à l’âme». Et pour toucher à l’âme, Faure se montrait parfois impudique, parfois presque pathétique, récitant dans son dernier one-man show, Maman, j’ai peur dans le noir, une liste exhaustive de ses amitiés politiques.ANIMAL POLITIQUE
Il faut dire que ses relations avec les hommes politiques n’ont jamais été simples. S’il séduisait les élus locaux, Faure pestait contre le ministère de la Culture qui «impose une posture de mendiant», aux artistes et aux directeurs de structures. Et Faure était un homme de luttes, de révolte. En 2007, Renaud Donnedieu de Vabres, alors ministre de la Culture, lui promet un label “Scène nationale“ pour son théâtre. Quelques mois plus tard, la nouvelle ministre de la Culture, Christine Albanel, annonce que l’attribution du label est gelée. S’ensuivra un combat acharné de trois années dont il ne sortira pas vainqueur. Qu’importe, fin 2009, l’infatigable Faure change son fusil d’épaule et rebaptise son théâtre “Maison du peuple et de l’utopie 2.0“. Il se défendra de toute démagogie, mais l’appellation en fera sourire plus d’un.“MALADE“ ET MALADIES
«Quand on a failli être mort, on se demande à quoi l’on a servi sur terre», se demandait Philippe Faure en 2008. Lui, qui se qualifiait de «survivant», n’hésitait pas à parler de la mort ; celle de personnalités connues, celle de ses proches, de sa mère surtout, «elle qui était faite pour vivre». Et il y avait les maladies. Celles du Malade imaginaire, sa pièce fétiche, dont la 200e représentation allait être donnée cette saison. Celles sur lesquelles il fournissait moult détails, son «anémie», sa «transfusion», sa «coloscopie»… Et enfin celle sur laquelle il n’a jamais dit un mot et qui l’a emporté un soir de juillet, à l’âge de 58 ans. Comme un ultime pied de nez adressé à ceux qui pensaient le connaître.

Biographie

  • 1er juillet 1952 : Naissance à Lyon.
  • 1974 : Fonde la Compagnie de la Goutte.
  • 1994 : Prend la direction du Théâtre de la Croix-Rousse, inauguré en 1994 en lieu et place de la Maison de la Danse, déplacée dans le huitième arrondissement.
  • 2001 : Avec «Moi tout seul», il se lance dans le one-man show autobiographique, exercice auquel il se livrera régulièrement, jusqu'en 2009 avec «Maman, j'ai peur dans le noir».
  • 2002 : Il monte «Le Malade imaginaire» de Molière et interprète Argan. Un rôle et une pièce qui le fascinent et dont la 200e représentation devait être donnée en mai prochain au Théâtre de la Croix-Rousse.
  • 2007 : Le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, s'engage à octroyer le label «Scène nationale» au Théâtre de la Croix-Rousse. En 2008, Christine Albanel, devenue ministre de la Culture, annonce que la labellisation est gelée.
  • 2010 : Rebaptise son théâtre «Maison du peuple et de l'utopie 2.0».
  • 18 juillet 2010 : Décès à Lyon.

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