Chris Thile : « la musique est un instrument de diplomatie très puissant »

Folk / Le prodige américain de la mandoline, Chris Thile, revient à Lyon pour la première fois depuis la pandémie. Il y présente son dernier album "Laysongs" qui le voit évoluer seul avec son instrument fétiche. Un disque empreint de spiritualité qui est aussi le fruit d'une grande introspection dont il nous parle ici. Comme du pouvoir de la musique.

Laysongs est votre premier véritable album solo puisque pour la première fois vous évoluez en mandoline-voix, pourquoi et pourquoi seulement maintenant, après une quinzaine d'albums ?
Chris Thile : C'est effectivement mon premier album solo avec des chansons originales, j'ai déjà pu enregistrer comme cela l'œuvre d'autres compositeurs mais en réalité ce sont alors quasiment des albums de duos car vous n'êtes pas vraiment seul, il y a vous et l'artiste repris. J'ai toujours eu l'intention d'enregistrer un album comme celui-là mais je n'en ai jamais pris le temps, parce qu'on a toujours tendance à utiliser son temps pour autre chose, à privilégier une collaboration. Or avec le premier confinement, je me suis retrouvé avec beaucoup d'espace dans mon agenda.

à lire aussi : Chris Thile : « le secret réside dans de petites idées »

Surtout ce moment a été l'occasion, comme pour beaucoup de gens, de faire l'inventaire de certaines choses dans ma vie, d'accorder davantage de temps à la contemplation, à l'introspection. Ce disque est une plongée en moi, particulièrement dans l'impulsion religieuse. J'ai grandi dans un foyer très religieux, je ne me considère plus comme religieux mais je reconnais toujours en moi certains traits de cette impulsion religieuse et ce, quotidiennement. Cela me perturbe suffisamment pour me pousser à écrire et me réfugier dans la musique. Laysongs est une collection de chansons écrites avant la pandémie mais elles ont réellement pris forme à ce moment-là, à cause de cette introspection soudain rendue possible.

C'est votre album le plus personnel ?
Sans doute, en tout cas, je le pense. Il y a des choses qui sont plus faciles à exprimer dans ce format, des choses qu'on ne peut pas exprimer aux côtés d'un groupe, ou faire exprimer par un groupe. Je suis quelqu'un qui ne retient pas ses émotions et je n'ai aucun mal à exprimer mes sentiments les plus profonds avec vous ou n'importe qui d'autre. Mais je ne veux pas mettre cela dans la bouche de mes collaborateurs.

Salt, au milieu de l'album, une chanson en trois mouvements, aurait, je pense, été inconfortable à jouer avec d'autres. C'est une chanson où je m'expose un peu, à contre-courant, assez audacieuse, où j'emprunte les mots de mon démon imaginaire. Pour tout dire, même seul, jouer Salt en concert c'est un peu un saut de la foi. Mais c'est aussi ce que voulais, me sentir mal à l'aise. Être en solo me permet d'explorer cette dimension.

On doit ouvrir ses oreilles pour être un créateur digne de ce nom

Vous parliez de religion. Est-ce la musique qui a affecté votre sentiment religieux ?
Oui, parce que pour commencer la musique m'a offert depuis tout jeune de voyager et de rencontrer des tas de gens différents. La religion de ma jeunesse n'était pas très permissive. La conséquence la plus effrayante étant de nous séparer, nous chrétiens du reste de l'humanité. En grandissant, on ne réalise pas forcément que l'on n'est entouré que de gens qui agissent comme nous, pensent comme nous. Plus j'ai fait de la musique avec des gens différents, pour des gens différents, plus j'ai tiré profit des conversations avec ces gens qui agissaient différemment, votaient différemment, et plus j'étais mal à l'aise avec l'idée qu'ils iraient en enfer juste parce qu'ils ne prononçaient pas les mots magiques « Jésus est mon sauveur » (rires).

Mais plus que ça, quand on compose de la musique, qu'on écrit, on ne peut pas se taire sur ce qu'il se passe autour de nous, sur la vie telle qu'elle se déroule – qu'on écrive des paroles ou non, d'ailleurs. On doit ouvrir ses oreilles pour être un créateur digne de ce nom. Bien sûr, cela ne veut pas dire que les gens religieux sont fermés au monde, j'en connais beaucoup de très ouverts mais c'est comme ça que je vois les choses.

Vous dites d'ailleurs dans un article récent du New York Times que vous êtes devenu tout autant un auditeur qu'un performer. Que voulez-vous dire ?
Je veux écrire une musique qui invite activement chaque amateur de musique à ma table. Je ne veux surtout pas prêcher à des convaincus. J'ai grandi dans un environnement qui penchait très nettement à droite et écrit aujourd'hui une musique qui je qualifierais de gauche, musique que je fais parfois avec des gens qui ont des opinions très différentes des miennes. Je veux pouvoir dire des choses à des gens qui pensent différemment.

À mon sens la musique est un instrument de diplomatie très puissant. La manière dont je voit les choses c'est qu'on peut jouer et chanter y compris à propos des choses dont on ne peut plus débattre. Ayant été à la tête du show radio Live from here, (célèbre show radio américain anciennement baptisé A Prairie Home Companion, à propos duquel Robert Altman a réalisé The Last Show) où mon boulot était beaucoup d'écouter, tout cela m'ayant été enlevé par la pandémie, en même temps que la possibilité de socialiser, cela a triplement souligné pour moi l'importance de rester en contact pas simplement avec les gens que je connais bien et que j'aime mais aussi ceux avec lesquels je suis en désaccord. Si l'on se contente de communier avec les gens qui nous ressemblent, rien ne changera jamais.

À quoi va ressembler ce concert lyonnais ?
Laysongs sera la pierre angulaire du show, mais il y aura beaucoup d'autres choses. Je suis assez obsédé par l'instant présent et par le fait de laisser les choses venir. Je laisse donc toujours beaucoup de place dans ma set list pour l'imprévu. J'aime que les choses soient suggérées par le public. Comme j'ai besoin de beaucoup d'attention car je ne fais pas beaucoup de bruit avec ma mandoline, j'ai besoin de retourner cette faveur que me fait le public en étant attentif à ses envies. Je veux qu'un concert soit une conversation. Vous allez avoir de l'impact sur la manière dont je délivre les choses, ce n'est pas juste « Hé, voilà ce que j'aime jouer ».

Chris Thile, Laysongs (Nonesuch records)
À la Chapelle de la Trinité le vendredi 28 octobre

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 14 mars 2017 Missionnaires du bluegrass aux quatre coins du monde, les chicagoans d'Henhouse Prowlers, habitués aux grands écarts géographiques et musicaux, viennent transformer pour un soir le Kraspek Myzik en ambassade des États-Unis de la country.
Jeudi 9 mars 2017 Prodige précoce de la mandoline et du bluegrass, compositeur hors-pair et touche-à-tout brillant dans l'art de la reprise décalée (Bach, les Strokes, Radiohead...) l'Américain Chris Thile viendra, lors d'un PB Live aux Subsistances, faire étalage de...
Mercredi 2 novembre 2016 Les PB Live, ce sont ces concerts un brin décalés que nous aimons partager avec vous, conçus avec nos amis de Rain Dog Productions, en des lieux peu visités et avec des artistes qui nous fascinent, mais encore peu mis en lumière. Voici le prochain.
Mardi 4 octobre 2016 Virtuose de la mandoline, Chris Thile a dépoussiéré cet instrument dont il est le plus solide représentant sur la planète. Véritable institution aux USA, il (...)

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X