Claire Simon réalise "Notre Corps" : « Le jour-même de l'annonce de mon cancer, je filmais »

Documentaire / Documentariste réputée, Claire Simon avait décidé de poser sa caméra au service gynécologique de l’Hôpital Tenon à Paris. Mais de visiteuse, elle devient patiente et son combat victorieux contre la maladie ajoute un enjeu humain à un film loin d’en être dépourvu. Conversation lors des Rencontres du Sud d’Avignon.

Quand le film commence, il donne l’impression qu’il s’agit d’une commande puisqu’il vous a été suggéré. Et puis vous êtes rattrapée par votre sujet…

Claire Simon : C’est la vérité. J'ai commencé à tourner en juillet 2021. On a tourné trois semaines ; j’avais tout organisé pour tourner, pour qu’il soit au labo début septembre…  Et à la fin septembre, j'ai découvert que j'étais malade. Parallèlement – c’est marrant – il y avait une chirurgienne qu’on voit beaucoup dans le film, Sonia Zilberman, à qui j’avais dit : « Ce serait bien que j'arrive à filmer une annonce. » Elle m’a dit : « C'est super dur ; je ne peux pas aller chercher quelqu'un dans la salle d’attente, dire qu’il y a une petite équipe et balancer des nouvelles très dures. » Même si les gens vont voir Sonia et se doutent qu’il y avoir une annonce, parfois ils espèrent passer au travers.

Et du coup, l’annonce, c’est moi ! (sourire) Comme m'a dit un copain : « Tu as une conscience professionnelle hors du commun. » Ce que je dis que dans le générique est absolument vrai : la première fois que je suis rentrée à Tenon, je me suis dit exactement cette phrase : « Putain, j’espère que je ne vais pas me choper un cancer ! » (rires) Et pourtant, je connais très bien l'hôpital, puisque mon père y a vécu pendant 28 ans pour une sclérose en plaque, donc j'avais une familiarité très grande avec l'hôpital. Et voilà, J’ai été rattrapée… De toute façon, je suis une femme qui filme. Là, ça m'a mis à égalité totale avec les patientes que je filmais ; ça m'a permis de vivre le truc des deux côtés. C’était vraiment intéressant pour le film ; je m'en serais bien passée par ailleurs (rires).

Hormis votre annonce, avez-vous filmé après ?

Bien sûr, c'est souvent chronologique. Par exemple, Sonia Zilberman avec la femme qui n'a plus qu'un sein, Madame Barbier qui dit : « Ah oui, Claire Simon, c'est très bien que vous me filmiez »  quand elle s’endort… Tout ça, je l'ai filmé après. Le jour-même de mon annonce, l'après-midi, je filmais – j'avoue que là, j'ai trouvé ça très dur. C’est justement là que j’ai filmé Sonia Zilberman, qui est vraiment une chirurgienne hors du commun et une médecin merveilleuse. Je lui ai dit : « Je viens de faire une séance, j'aimerais bien que vous vous occupiez de moi. » Elle m’a dit oui.

J'espère que le film permettra aux gens d'être familiarisés aussi avec tout ce que les femmes traversent tout du long de leur vie gynécologique, qui est vraiment un putain de fardeau.

Le hasard fait qu'au moment de l'annonce, vous n’aviez pas de voix. Ce qui donne l’impression que vous avez le souffle coupé et renforce la dramaturgie de la séquence…

Oui, j’étais malade… J’ai fait le PET-scan, c’est quand on vérifie pour voir s’il y a du cancer quelque part. Le mec m’a dit : « Non, vous n’avez que ça mais par contre vous avez une putain d’infection pulmonaire ; ça serait bien que preniez des antibiotiques ! » (rires) Mais moi j’étais tout le temps optimiste. Ce que je dis au médecin à ce moment-là, c’est tout à fait mon ressenti : parce que j’avais filmé toutes sortes de situations – dont les femmes qui avaient le cancer. J’étais familiarisée avec le protocole, avec ce qui allait arriver. Ça fait que je n'ai pas trop paniqué. Un peu, mais beaucoup moins que si j'avais appris ça en cours de route, dans ma vie normale, sans avoir filmé à l'hôpital. J'espère que de ce point de vue-là, le film permettra aux gens d'être familiarisés aussi avec tout ce que les femmes traversent tout du long de leur vie gynécologique, qui est vraiment un putain de fardeau.

Pourquoi avez-vous décidé de commencer le film par l’avortement ?

C’était les étapes sur le chemin de la vie. Je voulais vraiment faire le parcours de la vie. Quand Kristina Larsen m'a fait cette proposition, ça m'a énormément touchée. D’abord c’est rare qu'un producteur vous propose quelque chose d’intéressant. L’autre chose, c'est que j'avais un regret sur Les Bureaux de Dieu que j'ai fait sur le planning familial : j'avais vu ce médecin qui faisait aussi bien des suivis de grossesse que les avortements en délais dépassés. Malheureusement, je n'avais pas enregistré, ce n'était pas dans le film. C'était un gros regret pour moi.

Les femmes, c'est aussi bien d'avoir la contraception pour avoir une vie sexuelle libre, que d'avoir des enfants, que de ne pas en avoir, qu'avoir l'endométriose, que de vouloir avoir un enfant quand on a peur d'être un peu âgée, etc. Donc qu’il y ait eu cette idée de mettre tout ça dans un seul service, c’était magnifique. Quand j’avais accompagné Les Bureaux de Dieu  à Tours, il y avait un chef de service qui avait fait en sorte que toutes les pathologies gynécologiques soient ensemble – c’est formidable. Parce qu'à la différence de toutes les autres maladies qui touchent les hommes et les femmes, les pathologies gynécologiques touchent nos vies. C'est ça, la complexité.

C'est un portrait de la bienveillance hospitalière, globalement, mais vous avez quand même inclus la manifestation qui rend compte de violences gynécologiques.

Le médecin que j’ai filmé deux fois opérant avec les robots et enseignant est le professeur Émile Daraï. Ça aussi, c'est arrivé en cours de tournage, mais ce n'était pas mon sujet. Vous imaginez bien que ça n’allait pas arriver, que je filme une consultation avec une maltraitance. Mais je trouvais que c’était important de dire que ces femmes manifestent. D'abord, je me suis engagée auprès de l'AP-HP à ce qu’il n'y ait pas de nom dans le film, ni de patientes ni de médecins ; et c’était tout à fait normal que je rende compte de ça aussi. Parce que ce qu'elles demandent est juste. Ce médecin est un génie, hein ! C'est grâce à lui qu'on soigne l’endométriose en gros.

Pour ne pas être trop intrusive, vous avez tourné avec une seule caméra ?

Oui, bien sûr. Mais moi je tourne toujours avec une seule caméra parce que c'est mon regard. J’essaie de raconter ce que je vois : ce que c’est d'être entre la patiente et le médecin.

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