Aller au musée ou au cinéma ? 

Lyon Spleen / Art Nouveau, inventions à foison et scénographie étudiée : le musée Lumière a rouvert ses portes en octobre après des travaux d’accessibilité et de réhabilitation. À l’autre bout de Lyon, dans une ancienne église brutaliste et dans un tout autre cadre, le CinéDuchère a lui aussi beaucoup à raconter. Aller au musée comme on irait au cinéma ? Ou bien aller au cinéma comme on irait au musée ? Balade en miroir pour faire le tour de la question.

Musée Lumière : 12 images par seconde

Pousser la porte du « Château Lumière », comme l’appelaient les lyonnais·e·s de l’époque, c’est s’immerger dans le luxe d’une maison de famille Art Nouveau, dont la rénovation a su préserver tout l’apparat, les jeux de lumière et de classe sociale. On commence la visite par le somptueux jardin d’hiver, étonnant de son sol (chauffé à l’origine, prouesse technique en 1900) à son lustre de plafond orné d’une roue de paons… en passant par les premières reliques exposées, qui rappellent à quel point la famille fut prolifique en brevets, notamment médicaux. Premier choc des univers, à deux pas d’une magistrale baie vitrée qui ouvre sur le jardin : on s’arrête sur une main-pince en métal conçue par l’un des fils Lumière pour appareiller les soldats amputés lors de la Grande Guerre. Le ton est donné : ici s’imbriquent anecdotes de famille, ingéniosité industrielle et décor « de cinéma » dans une riche scénographie.

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Histoires de cinémas

Kinétoscope, chronophotographe, autochrome et autre vérascope retracent avec force détails scientifiques, dans les salles du rez-de-chaussée, la naissance technique du cinéma. L’un d’entre eux fixe l’imagination : la réplique d’un fusil photographique de 1882. 12 images par seconde avec chargeur de 25 plaques. Cette invention du docteur Marey, lorsqu’on la braque sur un oiseau comme une arme de chasse, capture… son mouvement. Elle est elle-même inspirée du revolver photographique de l’astronome Jules Janssen, mis au point pour observer la planète Vénus. 

Mais loin de se limiter à une simple exposition d’objets, le musée explore l’étymologie du mot cinéma : littéralement « écrire le mouvement ». Car en sus des pièces inestimables présentées, le musée met habilement en scène des images, animées ou non, comme autant de témoignages sociétaux. Regarder marcher des gens il y a plus de cent ans dans des rues qu’on arpente aujourd’hui. Voir s’animer, au quatre coins du monde, des lieux disparus sous les gestes de gens disparus eux aussi. Scruter les arrières plans des vidéos à la recherche du détail qui accroche. Observer les ouvriers qui sortent de l’usine et leurs patrons qui sortent leurs lions de compagnie (on vous laissera vérifier la véracité de cette anecdote en salle 1 au premier étage). Apprendre d’ailleurs que ce fameux « Premier Film », tourné dans la rue même devant le hangar de l’usine (devenu aujourd’hui salle de cinéma), n’était en fait pas le premier. 

The Time Machine

Point d’orgue de la visite au premier étage : l’incroyable zootrope de la sculptrice Emilie Tolot, qui décompose le mouvement avec une minutie vertigineuse. Une plateforme de 3 mètres de diamètre sur laquelle sont posées 384 petites sculptures d’êtres humains. On appuie sur un bouton, les lumières s’éteignent, la plateforme se met à tourner et les figures prennent vie sous les stroboscopes, au rythme de 12 images par seconde (comme pour le pistolet). 

© Loïc Benoît

 

En parlant de stroboscopes, vous rappeliez-vous que Jean-Michel Jarre était lyonnais ? Le musée a fait appel à l’une de ses compositions, « The Time Machine », pour rythmer un montage d’images d’archives diffusées sur plusieurs écrans simultanés, dans une salle obscurcie. Vertige là aussi quand s’entrechoquent, déstructurées, des scènes de familles des instantanés du monde et des saynètes déjà cinématographiques. On salue donc un travail scénographique qui a soigné les dispositifs pour réanimer ces images capturées il y a tant d’années et laisser la place à chacun et chacune de s’y connecter. 

 « Pas de photographie sans Lumière », dit un slogan de l’époque. Mais pas de Lumière sans une part d’ombre. En l’occurrence, celle des relations des deux frères Auguste et Louis avec le régime de Vichy, qui gagneraient à être davantage contextualisées pour que le film de famille que l’on déroule sous nos yeux soit complet. Car si l’on pousse les portes du Château Lumière pour passer une après-midi dans une maison Art Nouveau préservée, avec un œil curieux pour les machines qui font tourner le cinéma, on en ressort après avoir observé le monde qui se dessine en filigrane des images d’archives. Et forcément, avec toutes les questions qui vont avec. Un peu comme au cinéma, finalement.


Prolonger la balade (en vrai ou en pensée)

  • Creuser une anecdote digne d’un scénario de cinéma : 4 des 6 enfants Lumière se sont mariés avec les 4 enfants de la famille de brasseurs Winckler. Une histoire gravée sur le tombeau qui réunit les deux familles, au nouveau cimetière de la Guillotière (espace B 5 entre allées 9 et 11).
  • Réfléchir au fait que quelqu’un invente un moyen de capturer des images en se basant sur le principe d’un pistolet. (S’interroger : y-a-t-il un mot pour désigner le fait de prendre des inventions maléfiques et d’en détourner l’usage ?)
  • Partir dans la ville sur les traces des autres bâtiments de la dynastie Lumière. Par exemple : la polyclinique Lumière et son faux air de garage Citroën, qui abrite aujourd’hui des services des Hospices Civils de Lyon, au 48 rue Villon.
  • Débriefer sur tous les détails aperçus dans les arrière-plans des films du musée ou débattre de l’authenticité du Premier Film à quelques mètres de son lieu de tournage, à la terrasse du café du musée dans la jolie petite cour en face du Hangar.

Les avez-vous remarqués ? 

Plusieurs symboles de la lumière se cachent dans la Villa, en hommage au patronyme de la famille : un coq sculpté au pied de la rampe d’escalier dans l’entrée, qui annonce la venue du jour. Un soleil et des tournesols qui ornent la cheminée du salon. Une tête de lion sur la cheminée du Jardin d’hiver. 

Pour visiter le musée Lumière, il vous en coutera 9 euros. Si vous êtes à la recherche d’une promenade moins onéreuse mais qui a quand même un rapport avec le cinéma, lisez plutôt.


CinéDuchère : art, essai et brutalisme

Au 308 avenue Andrei Sakharov se dresse une flèche pointée tant bien que mal vers le ciel (45 degrés), entourée de silos : à première vue, on ne sait pas trop ce que c’est que ce vaisseau posé sur une motte de gazon, mais on a envie de savoir ce qui s’y trame. Si ce bâtiment en béton armé à moitié enterré abrite aujourd’hui le CinéDuchère, il n’en a pas toujours été ainsi. Ses lignes nous racontent une autre histoire faite de brutalisme, d’urbanisation effrénée et de culte religieux.

Béton, béton, béton

© Simon Cavalier 

Premier constat : nous avons affaire à un spécimen brutaliste. Derrière ce mouvement architectural, il y a d’abord la réalité de l’après-guerre : entre les années 50 et 70, on reconstruit en béton parce que ça coute moins cher et que cela va vite. Mais les bâtiments brutalistes abritent aussi des visions qui disent beaucoup de l’époque dans lesquelles elles ont été bercées : par exemple, une spiritualité dépourvue d’artifices pour les édifices religieux. Résultat, on ne sait pas trop s’ils essaient de se fondre dans la ville ou s’ils veulent marquer nos rétines.

Le quartier de la Duchère, témoin d’un mouvement d’urbanisation massive dans les années 60, compte quelques ovnis brutalistes dont certains classés au "Patrimoine du XXe siècle" : les plus notables sont le château d’eau et la tour panoramique. Beaucoup de verticalité que les architectes chargés de concevoir les églises du quartier, dans les années 60, ont cherché à contrecarrer, chacun à leur façon. À l’époque, le Diocèse est ambitieux et en fait édifier quatre, dans chaque quartier de la Duchère : les églises du Plateau, du Château, de la Sauvegarde et de Balmont. Qu’en reste-il aujourd’hui ? Notre-Dame de la Sauvegarde et Notre-Dame du Monde Entier (église du Plateau, classée elle aussi "Patrimoine du XXe siècle") sont toujours des lieux de culte. Faute de fidèles, l’église du Château est devenue une maison de l’Enfance. Celle de Balmont, qui nous intéresse aujourd’hui, un cinéma de quartier, d’art, et d’essai. 

De la messe au cinéma en 3D

Revenons sur les conditions de création de l’église de Balmont, inaugurée en 1964. Le projet Balmont est confié à l’architecte Pierre Genton, qui imagine un lieu de culte cryptique, aussi enterré que Notre-Dame du Monde Entier, en haut du plateau, est visible. Avec un détail, car il faut quand même que ça ait l’air d’une église : une flèche, minimaliste et pyramidale. On ne le voit pas lorsqu’elle nous tourne le dos, mais la flèche abrite en son creux un puits de lumière divine (une verrière en d’autres termes) qui, à l’époque, tombe directement sur l’autel. On en confie la décoration au sculpteur Etienne-Martin, qui l’orne d’un claustra rappelant des tuyaux d’orgue.

Petite église partie trop tôt ferme ses portes en 1993 (moins de 30 ans après sa construction). De cette crise de foi naît un nouveau projet expérimental : à partir de 1996, un « centre de découvertes sciences et techniques » du nom de Captiva s’y installe pour organiser des activités scientifiques. Dont la projection de films en 3 dimensions, dans une salle installée au fond de la nef. Emmanuelle Bureau, actuelle directrice du CinéDuchère précise : « à l’époque, la 3D consistait à superposer deux pellicules 35mm, les lunettes rouge et bleu recréaient l’effet 3D ».

Après la médiation scientifique, place au septième art plus tard : le CinéDuchère (géré par l’association du même nom) débute officiellement en 1996, avec la projection de Toy Story. Le plafond de la salle est désormais opaque, il ne laisse plus passer la lumière. Par contre, les tuyaux d’orgue d’Etienne Martin ont subsisté, ainsi qu’une cathèdre (un siège réservé aux personnalités religieuses, avec un très haut dossier) toujours posée derrière l’écran de cinéma, comme un dernier témoin de cette histoire de religion, d’urbanisation et de films en 3D !


Balade brutaliste à la poursuite des 4 églises de la Duchère

Notre Dame de la Sauvegarde : 474 avenue de la Sauvegarde, Lyon 9e
Notre Dame du Monde Entier : avenue du Plateau, Lyon 9e
CinéDuchère (ancienne église de Balmont) : 308 avenue Andrei Sakharov, Lyon 9e
Maison de l’Enfance (ancienne église du Château) : 105 rue Jean Fournier, Lyon 9e 

Puits de lumière à Mermoz

Vous voulez savoir à quoi le puits de lumière imaginé par Pierre Genton pouvait ressembler ? Allez faire un tour du côté de la paroisse de la Saint-Trinité au 111 avenue Jean Mermoz dans le 8ᵉ. Construite en 1961 sur les plans de Genton, elle abrite encore un fabuleux lanterneau.


Balade brutaliste à la poursuite des 4 églises de la Duchère

  • Notre Dame de la Sauvegarde : 474 avenue de la Sauvegarde, Lyon 9ᵉ
  • Notre Dame du Monde Entier : avenue du Plateau, Lyon 9ᵉ
  • CinéDuchère (ancienne église de Balmont) : 308 avenue Andrei Sakharov, Lyon 9ᵉ
  • Maison de l’Enfance (ancienne église du Château) : 105 rue Jean Fournier, Lyon 9ᵉ 

Puits de lumière à Mermoz

Vous voulez savoir à quoi le puits de lumière imaginé par Pierre Genton pouvait ressembler ? Allez faire un tour du côté de la paroisse de la Saint-Trinité au 111 avenue Jean Mermoz dans le 8e. Construite en 1961 sur les plans de Genton, elle abrite encore un fabuleux lanterneau.


Musée Lumière
25, rue du Premier-Lyon, Lyon 8ᵉ
Du mardi au dimanche de 10h à 18h30
5 à 9 euros (gratuit pour les moins de 7 ans)

CinéDuchère
8, avenue Andrei Sakharov, Lyon 9ᵉ 
Tarif plein – 6, 70 €
Tarif réduit – 5, 70 € (tarif réduit pour tous le mercredi)
Tarif jeune (moins de 14 ans) – 4 €

 

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