Du bois dont on fait un sculpteur

Le Musée des Beaux-Arts consacre au sculpteur Etienne-Martin une vaste rétrospective en 150 œuvres. L’occasion de redécouvrir cet immense artiste un peu oublié, qui eut avec la ville de Lyon des liens fondateurs et passionnés au début de sa carrière.

Etienne-Martin (1913-1995), âgé, ressemble un peu à ses œuvres. Son physique imposant, sa barbe fournie et son regard traversé d’un éclat rieur font de lui une sorte de chaman sympathique et généreux. De même, ses sculptures sont pleines de vie, humoristiques parfois, monumentales souvent, soucieuses du caractère énigmatique du monde et de l’existence humaine, en quête de spiritualité... Etienne-Martin lui-même, ou ses commentateurs, a d’ailleurs eu souvent recours au biographique pour expliquer son œuvre. L’artiste a beaucoup parlé notamment de son enfance très protégée à Loriol et de cette étrange maison familiale divisée en deux, dont une partie lui était interdite d’accès pendant la Première Guerre Mondiale et le départ de son père au front (c’est à l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon que l’artiste "sortira de son cocon" et s’épanouira dans la vie sociale). «Cette maison c’est moi. Moi et mes contradictions, et les pièces sont le cheminement de ma pensée»… Etienne-Martin, très concrètement, a réalisé une série de "Demeures" aux configurations diverses, où le processus de deuil s’entrecroise avec le processus de création. C’est l’ensemble le plus connu de l’artiste.

L’homme habite en poète…

La maison habitée et l’autre inaccessible, la matière visible et l’idée imperceptible, le réel et l’imaginaire, la vie et la mort, le féminin et le masculin… On pourrait continuer presque indéfiniment ces associations d’éléments ou de forces antagonistes à l’origine des sculptures d’Etienne-Martin. Le rapprochement, voire l’enchevêtrement, des contraires traversent sa création. Ce qui nous frappe et nous émeut le plus dans ses œuvres est d’ailleurs cette tension extrême, cette imbrication ambivalente entre la matière et les formes, la matière et les signes. Une matière qui consiste le plus souvent en des racines d’arbres de différentes essences, et aussi en bronze, plâtre, terre… Matériaux que l’artiste travaille plus ou moins, sculpte avec beaucoup de précision ou laisse en suspens, un peu bruts, à leur état "naturel". Ses "couples" sont même réalisés sur le principe d’une double imbrication : imbrication de la figure dans l’abstraction du matériau, imbrication des deux figures entre elles, enlacées jusqu’à une quasi indistinction. «Tout est couple, l’un est le moule de l’autre, et l’on ne saurait dissocier l’un de l’autre… Je ne vois pas le vide sans le plein». Le couple, c’est encore «ce moment tout à fait rare où deux êtres peuvent se rencontrer» et l’on est saisit par cette émouvante Rencontre de 1984, de taille modeste, suggérant seulement deux formes humaines l’une en face de l’autre, l’une convexe et l’autre concave, l’une un peu plus claire que l’autre…

Cellules souches

À travers quelque 150 œuvres, l’exposition du Musée des Beaux-Arts se propose comme une véritable plongée sensorielle dans le travail si singulier et poétique d’Etienne-Martin. Le parcours est à la fois chronologique et thématique (animalité, demeures, couples, couleur, énigme…) et tend à retranscrire l’ambiance de l’atelier de l’artiste (tentative assez discrète au demeurant). En dehors de quelques indications générales dans la première salle, les œuvres ne sont plus ensuite accompagnées de textes. Leur présence prime et c’est heureux. Car quelle présence ! Les sculptures vibrent, accueillantes ou refermées sur elles-mêmes, érotiques ou agressives. On perçoit en elles une énergie compactée sur le point de s’épandre, quelque poussée centrifuge figée par l’artiste. Ce sont des blocs d’affects et de sensations où les différentes pulsions de la vie seraient comme éternellement contenues. Un biologiste parlerait peut-être, en jouant sur les mots, de cellules souches. L’une des salles les plus marquantes de l’exposition est celle consacrée au "monumental" avec cet immense cerbère voisinant avec un dragon pris de convulsions, ou cette corne géante et cette échelle s’élançant vers l’infini. Avec des œuvres beaucoup plus petites, la vitrine de la section "énigme" est elle aussi de toute beauté : un petit tripode en bronze, une tête de Janus associant la vie à la mort… L’exposition se termine sur le poignant et admirable Ecce Homo réalisé en racine d’oranger en 1984 représentant un étrange personnage mi-homme mi-animal qui tente de briser ses chaînes et lutte contre les forces mortifères qui font ployer son corps… «Le corps humain est un champ de guerre où il serait bon que nous revenions… C’est maintenant qu’il faut reprendre vie» écrivait Antonin Artaud.

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