Fumeurs, repentez-vous, ça chauffe

ENQUÊTE / L'interdiction de fumer dans les lieux publics, qui entre partiellement en vigueur en février prochain, ne va pas changer l'atmosphère des nuits grenobloises. Bernard de Vienne

Vous vous rappelez? Après le CPE, la deuxième reculade du gouvernement en avril 2006 a concerné la loi anti-tabac, proposée par… Yves Bur, un député UMP alsacien, en novembre 2005. Pourtant cette fois, la sacro-sainte opinion était avec lui : Une majorité de Français (74%, selon l’Ifop, en avril), et même de fumeurs, soutiennent le projet qui proscrit le tabagisme dans les lieux publics. Car comme le dit Mathieu, 27 ans, en s'en roulant une : «Cette loi comme fumeur ça m‘emmerde, mais comme humain j’approuve. C’est pas cool de filer le cancer aux autres». Contre cette pensée unique, quelques réfractaires comme Siné qui se demande, après les bars-tabac non-fumeurs, «à quand l'interdiction de chier dans les gogues et de baiser dans les boxons ?», ou le sociologue Robert Castel qui y voit (Libération, 24 octobre) un «mélange d‘autoritarisme bien-pensant, de suffisance pseudo-savante et de bonne conscience sécuritaire qui caractérise les ayatollahs de la santé». Rappelons qu’il n’est même pas (encore) question de prohiber le tabac. Enfin, après quelques mois de tergiversations, le projet vient de repasser le 7 octobre sous forme de décret : au premier février 2007, plus de clopes dans les lieux publics. Sursis Pas d’exception pour les cigares et les pipes, mais un sursis d'un an pour les bars, restaurants, discothèques et casinos. Après, dans le rang comme tout le monde. Dans les faits, ça veut dire que rien ne changera en 2007 pour vos sorties nocturnes. Seule concession sur le long terme : les lieux publics disposant d’un système de ventilation adapté dans une zone destinée aux fumeurs, en gros une hotte aspirante grand modèle qui épargnerait aux employés dudit lieu les vapeurs nicotiniques. «Ça se fait dans les grandes entreprises, nuance Greg, barman à la boîte à sardines, mais ici ça m’étonnerait que le patron investisse !». Dans la plupart des établissements, les fumeurs grilleront donc leur clope sur le trottoir. Comme les employés fumeurs, qui de toute façon et si vous avez bien lu la loi Evin de 1991, n’ont pas plus le droit que quiconque de fumer sur leur lieu de travail… «Le seul problème c'est si 10, 15 clients se mettent dehors pour fumer ça va faire du bruit... Moi je fume mais j’aime pas la fumée des autres. Pour les employés c’est une bonne loi. Pour les clients de passage peut-être moins mais ils vont s’habituer… dans tous les bars de France et de Navarre, on fume trop, t'as pas amené le café qu'ils ont déjà allumé leur cigarette..». Le jour pointQuand la nuit se termine et que les dancings se vident, Serge Vial ouvre son restaurant. Au comptoir d'Hyppolyte, bouchon lyonnais et bar à vin le long de l’estacade, on récupère les rescapés des boîtes, employés ou clients, dès les 5h du mat’. Et d’après le patron, «la clientèle, majoritairement c'est des gens qui fument. Cette loi, ça ne m’inquiète pas vraiment mais disons que ça m’interpelle : c'est dommage de légiférer, la bienséance suffirait à régler les problèmes. Qu'on ait le droit de faire des bars fumeurs explicitement indiqués à l'extérieur. Et ceux qui ne fument pas, ils ne rentrent pas !». Oui, Serge, mais tes employés tu y penses ? «La serveuse elle fume deux paquets de blondes par jour, alors. Je vais pas la forcer à arrêter. Pour tout vous dire, je sais pas trop comment je vais faire si ils nous cassent les pieds à la militaire». Sur la place Saint-Bruno par contre, il y a un barman content, Hassan, le patron du Saint Arnaud : «Moi je fume pas. Cette loi c'est une bonne chose. Les clients, ils vont être malheureux mais bon ils sortiront dehors. Au début je pense que le chiffre d'affaires va chuter, énormément. Mais devant les amendes qu'il va y avoir et les pénalités, on sera obligé de s'y plier. En Espagne c'est selon l'appréciation du tenancier je crois; mais en France je pense qu'il n'y aura pas le choix, les amendes vont tomber. Ils vont rattraper le temps perdu avec la loi Evin !». Derrière son bar tous les soirs depuis 12 ans, Hassan a dû fumer l'équivalent de quelques cartons de cartouches. «Les gens qui fument, ça me gêne pas trop, je suis blindé. Dans le bar encore il y a du passage, la porte est toujours ouverte, la fumée ne reste pas trop. Mais vous imaginez en discothèque ? Tout est clos ! Et les extracteurs d'air ne marchent jamais.» Le plus drôle, c’est qu'en effet les boîtes de nuit disposent déjà de systèmes de ventilation qui resteraient souvent mystérieusement éteints. Ça donne soif, toute cette fumée qui stagne…Épidémie mondialeLes pays qui ont proscrit la clope dans les lieux publics sont de plus en plus nombreux : l’Irlande, d'abord, il y a deux ans. Gaëlle, 22 ans, y était, «un mois et demi après l'interdiction. J'étais trop contente, je fume pas. C'était agréable de pas puer la clope en rentrant de soirée». L’Italie, l’Espagne, maintenant Buenos Aires qui s’y est mise le 1er octobre (pas toute l’Argentine). Ça ne grève pas toujours le chiffre d’affaire des restaurateurs pour autant. En revanche, comme à chaque fois qu’on tape sur leur gagne-pain, les buralistes râlent. Les augmentations de prix les avaient déjà mis dans la rue. Pour éviter qu’ils grognent trop fort, Thierry Breton - plein d'humour - a ressorti les baby-foot des entrepôts où des taxes, apparemment exorbitantes, les avaient relégué. Il y en a qui pleurent sur le fascisme des mesures anti-tabac supposées liberticides. Chacun voit midi à sa porte : les fabricants de clopes devant l'hostilité des “ayatollahs de la santé” occidentaux étendent maintenant leur emprise sur le tiers-monde (les pays “en développement“, entendez : marchés émergents et sauvages), en bons dealers capitalistes. Quand on tue régulièrement la moitié de sa clientèle, il faut bien trouver des débouchés pour son poison.

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