«Don't blame me, blame society»

CPE / Si le campus porte encore les stigmates de la crise du CPE, ses échos et sa mobilisation semblent désormais bien loin. Retour sur la chronologie grenobloise des événements et sur leurs incidences concrètes, près de six mois après. FC

En août 2005, alors que les vacanciers se la régalaient plus ou moins, une mesure passe en loucedé. Le Contrat Nouvelle Embauche, applicable aux PME de moins de vingt salariés, est adopté par ordonnance, donc sans débat à l’Assemblée. Il contient, par son essence et sa mise en application, les germes du CPE à venir. Sauf que son champ d’application est plus limité, qu’il touche moins explicitement les jeunes, et que la période n’est pas à la vigilance contestataire mais plutôt au kiff estival. Le 16 janvier, Dominique de Villepin, plein d’allant, fait part de son projet pour réduire le chômage chez les jeunes actifs. Introducing la Loi pour l’Égalité des Chances, featuring le Contrat Première Embauche, et son cortège de légitimes suspicions. À Grenoble comme dans toutes les villes universitaires, les syndicats étudiants et enseignants se réunissent pour imaginer une campagne de sensibilisation sur le campus, avant de commencer les actions en faveur du retrait du CPE. La première Assemblée Générale, organisée par l’UNEF au bout de trois semaines, rassemble 200 personnes à Grenoble. Le 7 février, on bat le rappel dans les amphis à coups de mégaphones pour la première manif. La campagne d’informations bat son plein, les banderoles anti-CPE fleurissent sur le campus. Heurts en fins de journéesCoup de théâtre : dans la nuit du 8 au 9 février, alors qu’il reste 27 articles et 370 amendements à examiner, Dominique de Villepin fait adopter la loi via l’article 49-3 de la Constitution, un véritable passage en force. Souffrant bêtement de la période de vacances scolaires, le mouvement anti-CPE s’enlise un temps ; retenant la leçon, les organisations étudiantes et lycéennes décident d’attendre le 7 mars pour remanifester. Et là, effectivement, 15 000 personnes sont recensées dans les rues grenobloises par les organisateurs. À l’issue de la mobilisation, une fois le noyau dur du cortège dispersé, on constate les premiers heurts, récurrence dommageable des manifs à venir. Du côté des manifestants irréductibles comme des forces de l’ordre, les provocations vont bon train, fournissant du contenu polémique aux JT du soir. Lancers de bouteilles et injures contre ripostes à la lacrymo et à la matraque, jeu du chat et de la souris dans le centre-ville, passages à tabac, vitrines brisées ; chaque usage de la force tourne systématiquement au vinaigre (y compris l’occupation impromptue de France Bleu Isère, dont les rendus à l’antenne desservent le mouvement plus qu’autre chose) et contribue à donner une image faussement belliqueuse des engagés grenoblois, comme une mauvaise réminiscence des exactions incompréhensibles commises lors de la soirée du Beaujolais quelques mois en arrière. … Et nous arrivâmes 3 millionsAu sortir de cette première journée d’action vraiment significative, une AG est organisée dans l’Amphi Weil en présence de 600 étudiants. Le blocage de la faculté est voté, confirmé une semaine plus tard par deux tiers des forces en présence (3000 personnes regroupées devant l’Amphi Weil, faute de place). La galerie des amphis de l’UPMF est réquisitionnée et partiellement saccagée, en dépit des efforts des syndicats pour éviter ce genre d’écarts, nuisibles au mouvement dans son ensemble. À la fin de la crise, l’UPMF a avancé des chiffres oscillant entre 200 000 et 300 000 euros de dégradations. De son côté, l’UNEF lance une estimation à 40 000 euros de dégâts, une «goutte d’eau dans le déficit de l’université qui se chiffrerait à un million et demi d’euros, dû au manquement de plus en plus marqué de l’état. Le Ministère ne donne à l’UPMF que 80% de ce qu’il devrait lui allouer, selon ses propres critères. La situation était kafkaïenne avant le mouvement». En dépit de ces aléas, l’UNEF évoque des «rapports cordiaux avec les universités». Le mouvement se poursuit, les AG de plus en plus massives valident la perduration des blocages. Selon les chiffres de la CGT, 60 000 personnes sont dans les rues grenobloises les 28 mars et 4 avril (et près de 3 millions sur tout le territoire). Le 31 mars Jacques Chirac fait une intervention télévisée aux frontières du compréhensible, promulguant le CPE mais pas vraiment, avant de le retirer de la Loi pour l’Égalité des Chances le 10 avril. Deux jours plus tard, l’AG vote le déblocage à 2500 voix contre 1700. La galerie des amphis sera “libérée“ le samedi suivant. Après la batailleQuoi qu’on en pense, le conflit autour du CPE aura eu un mérite de taille : une prise de conscience majeure chez les étudiants de la réalité du monde du travail, se traduisant dans le concret par une appréhension plus pragmatique de leur enseignement supérieur – dans les inscriptions de cette année, l’ambiance est à la fuite généralisée des filières saturées, et au choix d’études découlant directement sur un débouché professionnel (a priori) garanti. Dans cette logique, François Goulard, sémillant Ministre Délégué à l’Enseignement Supérieur, a proposé le 21 septembre que les universités mettent en place une procédure de préinscription pratique auprès des lycéens, encouragés à se déclarer dès février-mars pour ainsi être mieux conseillés. Fort louable, à ceci près qu’encore une fois, les universités sont implicitement invitée à se démerder toutes seules, sans octroi de budget supplémentaire pour cette nouvelle tâche. Quant aux syndicats de l’éducation (au sens large), leur rentrée devait se faire le jeudi 28 septembre, au gré d’un appel à une journée de mobilisation nationale contre la politique du gouvernement et l’endémique manque de moyens des universités. Las, le cortège grenoblois, aligné sur la tendance dans tout le pays, ne comptait “que“ 600 manifestants (selon les syndicats), bien loin des énormes scores réalisés pendant la lutte anti-CPE. Si le mouvement a consolidé les principaux syndicats dans des proportions jamais atteintes (l’UNEF a doublé ses rangs), allant parfois jusqu’à les “réconcilier“ entre eux au passage, son extraordinaire émulation semble aujourd’hui retombée. En espérant qu’il ne faudra pas attendre un redouté deuxième tour avec le FN en mai prochain, ou même un excès de Beaujolais pour que la sphère militante estudiantine ne réveille sa fougue.

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