La poésie, Trintignant

Interview / Jean-Louis Trintignant, comédien à l'exceptionnelle carrière tant cinématographique que théâtrale, vient dire de sa voix émouvante les “Poèmes à Lou” de Guillaume Apollinaire. Propos recueillis par Séverine Delrieu

Ce qui frappe dans les Poèmes à Lou, c'est l'érotisme et la puissante présence du corps.Jean-Louis Trintignant : Oui. C'est vrai, c'est ça. C'est très charnel. Il y a une situation pressante qui est la guerre de 14 et il y a cet amour désespéré. Apollinaire a eu une aventure avec Lou (Louise de Coligny), mais elle ne l'a pas prise très au sérieux. Lui au contraire, a pris cela très au sérieux et il est parti sur le front juste après. Le souvenir de Lou est donc très présent. Elle, elle a un autre amant qu'Apollinaire nomme "Toutou" dans les poèmes, pour qui Lou éprouve un vrai amour, alors qu'Apollinaire était un amour de passage.Est-ce que la proximité de la guerre, donc la présence de la mort, et le souvenir de cette femme qui joue avec lui, n'amplifient pas son désir pour elle ?Si certainement. S'il n'y avait pas eu la guerre, je crois que cette passion se serait atténuée. Car Apollinaire, qui était un type très brillant mais pas beau du tout, - c'était pas Delon -, une fois qu'il avait séduit les femmes, il leur faisait un peu peur. Il était sûrement exalté, excessif. Il a même une idée de l'érotisme un peu égoïste, un peu macho, un peu sadique. Et ça, à la petite Lou, ça devait pas lui plaire tellement.On navigue entre versification et narration, encore une modernité.Oui. D'un côté il y a l'amour fou, exalté. De l'autre, la guerre de 14. Alors que j'ai lu beaucoup de choses sur cette guerre, là, je n'avais jamais lu quelque chose d'aussi fort, surtout de la part d'Apollinaire. Au début, le poète ne voyait pas la guerre comme un soldat, il a même écrit «Dieu que c'est beau la guerre», à la fin, il ne le pensait plus. La guerre des tranchées était une chose vraiment atroce. Il a été blessé, trépané, une opération très grave, il s'en ait sorti et il est mort de la grippe espagnole le 9 novembre 1918, un jour avant l'Armistice, c'est étrange le destin.Comment abordez-vous les mots d'Apollinaire sur scène.Je ne sais pas, je ne me rends pas compte. Cela fait longtemps vous savez que j'ai commencé ce spectacle. Cela fait plus de 10 ans, je l'ai commencé avec ma fille, Marie. Ce n'était pas exactement les mêmes poèmes qu'aujourd'hui. Dans les poèmes d'Apollinaire, il y en a une cinquantaine que j'aime beaucoup. Il en a écrit 450. Ceux que j'aime sont surtout dans les Poèmes à Lou, mais ce n'est pas tout le spectacle. Il y a Zone (poème d'ouverture d'Alcools) qu'il a écrit 10 ans avant les Poèmes à Lou. Comment Zone est intégré ?Je le dis au début. Puis à la fin, on arrive sur les Poèmes à Lou. D'abord, c'est l'amour fou, heureux, puis c'est la relation douloureuse.Zone est un éloge du monde moderne.C'est ce qui m'intéressait dans tout Alcools. Il parle beaucoup du début du 20e siècle, periode la plus importante dans l'histoire du monde. C'est le début de l'électricité, de l'aviation, de l'automobile. Dans cette nouvelle version, qui avait rencontré un vif succès en Avignon en 2004, il y a l'apport de la musique.Daniel Mille, l'accordéoniste est parti d'Erik Satie pour écrire la musique. Mais dans Erik Satie, il n'y a pas tant de choses graves. Alors que les Poèmes à Lou sont graves, plombés. Alors il a écrit à partir de Satie une musique plus grave que l'ensemble de la musique du compositeur. La musique de Satie est assez provocatrice, brillante, drôle souvent, et là c'est moins drôle. Je regrette d'ailleurs un peu de ne pas avoir exploité dans le choix des poèmes d'Apollinaire, le côté rigolo, farceur qu'il a aussi. Dans le spectacle, il y a 2, 3 moments où l'on rit, mais le reste est grave. Cela dit, je crois que le spectacle est devenu très bien et ce n'est pas prétentieux de dire cela. Devant l'accueil du public, le spectacle est devenu une chose magique. Depuis Avignon, cela a pris une émotion folle. On s'est rendu compte qu'on pouvait jouer devant de très grandes salles. Je croyais que la poésie avait besoin d'un espace intimiste, en fait à Avignon, il y avait 2000 personnes, et ça a très bien marché. On vient de le jouer devant une salle de 1000 personnes à Orléans, pendant 4 soirées, et c'était formidable.Si tant de personnes sont touchées, serait-ce parce que la poésie aide à vivre ?Oui je crois. Exactement. Je crois que la poésie est plus considérée aujourd'hui qu'elle ne l'était avant. La poésie, avant, était une forme littéraire réservée à un petit groupe. Alors que maintenant, aussi parce que la poésie d'Apollinaire est assez simple, - elle n'est pas abstraite comme celle de Mallarmé -, elle rencontre un large public. Mais elle n'est pas toute simple non plus, il y a même des parties que moi-même je ne comprends pas et je crois que c'est mieux de ne pas tout expliquer car quand on ne comprend pas, il y a la valeur musicale. Dans ce spectacle, il y a 21 poèmes et sur 1 heure 15, il y a peut-être 5 minutes difficiles. Dans La chanson du mal-aimé, il y a de petits morceaux qui sont un peu incompréhensibles, je me les suis fait expliquer, mais je ne m'en souviens plus.Quels sont les autres poètes que vous aimeriez porter à la scène ?Il y a un autre spectacle que j'ai joué, Le Journal de Jules Renard. C'est aussi le début du 20è, mais il a vécu un peu plus longtemps qu'Apollinaire. C'est un poète, plus drôle, très fin, un esprit à part, il est plus littérateur et homme de théâtre. Son journal est une merveille, un témoignage extraordinaire sur ses contemporains. Il a surtout des phrases percutantes. Il dit par exemple : "je connais le bonheur, mais ce n'est pas ce qui m'a rendu le plus heureux". Je sais pas trop ce que ça veut dire, mais c'est très brillant. Il écrit encore "il y a des femmes laides qui sont quand même enceintes". C'est terriblement misogyne mais drôle. À côté de cela y a des choses tendres.Et part Jules Renard ?Je ne vais plus faire grand chose. Je vais jouer une autre pièce à Grenoble Moins Deux (en février au Théâtre Municipal) écrite et mise en scène par Samuel Benchetrit.Beaucoup de théâtre. Le cinéma, est-ce terminé ?Même si je n'ai jamais cessé de faire du théâtre, le cinéma oui, pour moi, c'est terminé. Je n'ai plus envie.Est-ce qu'on vous verra dans un travail, même théâtral, mis en scène par Patrice Chéreau ?C'est vrai que depuis Ceux qui m'aiment prendront le train, je n'ai plus fait de films. J'aimerai bien, mais il est très occupé, et il a envie de faire du cinéma.Mais il fait quand même du théâtre ?Oui, et il en refera, mais maintenant son truc, c'est vraiment le cinéma, il est passionné par le cinéma et c'est très bien. Je crois qu'on ne va pas se rencontrer avant longtemps.Poèmes à Lou et Alcools du 26 au 28 octobre, à l'Auditorium de la MC2

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