Macbeth au pays des horreurs

Théâtre / Pascal Mengelle, créateur d’univers visuels saisissants, se paie le luxe de mettre en scène son propre Macbeth. Un texte empli de bruit et de fureur que l’on prend plaisir à redécouvrir. Aurélien Martinez

A quoi bon travailler aujourd’hui sur un texte déjà maintes fois monté, notamment par les plus grands ? Interrogation légitime quand on a à faire à des metteurs en scène sans imagination qui n’apportent rien de plus à l’œuvre originale ; ou pire, l’étouffent avec leur prétention. Mais ces questionnements existentiels sur la nature même du théâtre – comment se fait-il que l’on joue depuis des siècles et des siècles les mêmes pièces ? – s’envolent quand ce grand répertoire est porté par des artistes aussi intéressants que Pascal Mengelle. Le metteur en scène grenoblois, à la tête de sa compagnie La Saillie, s’attaque au monumental Macbeth de Shakespeare, avec un talent indéniable. Ici, le mythe est réinterprété sans jamais être dénaturé. Mengelle va farfouiller au fond du fond de cette œuvre monstre pour appréhender au mieux la nature de Macbeth, victorieux chef de l’armée écossaise qui se rêve en roi suite à la prophétie de sorcières, mais qui finira en tyran sanguinaire pour espérer épouser son destin. En faisant preuve d’une économie de moyens pour un rendu saisissant, Mengelle ne tombe pas dans le piège de l’habillage moderniste flamboyant censé justifier une énième mise en scène du texte écrit il y a 400 ans, et ça fait plaisir !Alchimiste visuel
Sur scène, une simple voile blanche comme seul décor. Une voile malmenée tel l’esprit de Macbeth. Sur le côté, un percussionniste rythme la pièce avec des sons inquiétants : cet habillage sonore original est l’une des clés de la force surprenante de la mise en scène. Et puis les acteurs. Cinq au total, en tension permanente, qui alternent les différents personnages. Au centre, Bertrand Barré campe un Macbeth impassible, mais qui finira par s’ébranler. A ses côtés, Isabel Oed, toute en force, est Lady Macbeth, celle qui finira folle, rongée par le remord, et se suicidera : un rôle ambivalent considéré comme l’un des plus complexes du répertoire occidental, ici porté avec conviction. Ces deux amants diaboliques sont au centre de ce récit empli de folie. Enfin, parti pris on ne peut plus intéressant, Mengelle a rassemblé les sorcières en une seule entité, nommée la Créature, et représentée en ombres chinoises. Jamais on ne la voit vraiment, toujours on l’imagine, avec ses branchages et sa longue robe. Un tour de force qui permet de s’intéresser véritablement au texte, en évacuant le coté folklorique que peut avoir la magie et la représentation de sorcières sur scène. Tout ça, et d’autres choses encore, qui font de Mengelle un véritable alchimiste visuel au monde séduisant tant pour les amateurs de théâtre que pour les néophytes.D’un genre à d’autres
Au final, de la mise en scène de cette pièce fleuve, on retient la furieuse envie de son concepteur de donner à voir des textes, qu’ils soient classiques ou contemporains. Car Mengelle navigue entre les genres au fil de ses différentes créations, que ce soit avec Beckett, Artaud, Stevenson… et maintenant Shakespeare, grâce à qui il signe sa première mise en scène de pièce de théâtre (ses autres créations étaient des adaptations de textes). Le tout en y apportant sa vision, son interprétation et ses propres codes esthétiques, souvent placés du côté de la monstruosité. Une véritable réussite dans le cas de notre Macbeth, que l’on nuance néanmoins par deux – petits – bémols (car comme dit le proverbe, qui aime bien châtie bien !) : d’abord l’absence d’entracte pendant les 2h30 que dure la pièce, qui nous font un peu vaciller de l’œil vers la fin. Ensuite, la tournure commedia dell’arte assez saugrenue que prend la pièce dans la dernière demi-heure, qui nous laisse pantois. Mais peut-être les deux choses sont-elles liées ?MACBETH
Du mercredi 14 au vendredi 16 janvier à 20h, à l’Hexagone (Meylan)

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