Piano Forest

Un beau film d’animation japonais sur l’amitié entre deux enfants pianistes, qui étonne par ses sous-entendus gonflés et sa morale peu convenue. Christophe Chabert

Shuheï est le fils d’un pianiste renommé, qu’il voit peu car celui-ci est constamment en tournée, et dont il s’apprête à reprendre le flambeau en préparant un prestigieux concours de piano. Sa mère s’installe dans le faubourg d’une ville japonaise entourée par une vaste forêt. C’est là-bas qu’il fera la connaissance de Kai, garçon sauvage au père absent et au physique androgyne, autour d’un piano abandonné au milieu des arbres. Ce piano appartenait à un ancien concertiste virtuose qui, après un grave accident ayant coûté la vie à sa fiancée, est devenu professeur au collège du coin. Alors que la mère de Shuheï pense que cet ex-prodige prendra son fils sous son aile, c’est au contraire Kai, dont les talents naturels vont exploser au grand jour, sur qui se porte son intérêt. Raconté linéairement, le scénario de Piano Forest a tout de la fable initiatique, joli conte sur les choix que l’on doit faire pour s’affirmer en dehors d’un destin tracé par sa famille ou par la société. Mais Masayuki Kojima, nouveau venu dans la confrérie des cinéastes d’animation japonais, a truffé son film de doubles sens qui en font tout le sel.

La leçon de piano

Qu’est-ce qui se joue exactement entre Shuheï et Kai ? Lors d’une des premières scènes, Kai vient à la rescousse de ce garçon qui est son opposé (timide, choyé et riche) contre les brutes du collège qui le rudoient. Mais l’échange qui s’ensuit avec les agresseurs est fortement lesté de sous-entendus sexuels. Kai sait qui il est, son identité est déjà claire, mais son avenir reste incertain. Ce marginal trouble Shuheï qui, lui, se cherche encore en dehors d’une voie professionnelle déjà balisée. Garçons sans pères aux mères envahissantes, attirés par la musique classique, partageant des moments d’intimité seuls dans la forêt : Piano Forest ne lésine pas sur les sous-entendus gays. Le film va même plus loin quand il fait débarquer une fille au milieu du duo. Retour à la normale ? Que nenni ! Si elle s’entiche de Kai, c’est parce que sa tignasse rousse lui rappelle celle de son chien, qu’elle caressait pour se déstresser aux toilettes. Ce qui donne une poignée de séquences au fétichisme troublant et savoureux. Au-delà de ces audaces, Kojima va au bout de son propos : il nous murmure que le travail forcené n’est rien sans le talent ; leur union est une affaire de passion qui n’est pas forcément qu’artistique. Et cette union a quelque chose de choquant pour un public formaté et prompt à encenser ce qui reste dans les normes. Saine leçon, dans un joli film plein de surprises.

Piano Forest
De Masayuki Kojima (Japon, 1h41) animation

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