Mis à Parr

Quand un musée de l’agglomération grenobloise accueille les œuvres d’un artiste fameux comme Martin Parr, force est pour nous de nous pencher de plus près sur le bonhomme. Dont acte ! Laetitia Giry

On ne présente plus Martin Parr, mais on va le présenter quand même. Né au Royaume-Uni en 1952, il compte parmi les photographes les plus connus de la planète. Grand documentariste au regard mordant, aussi British qu’Anglais, observateur impitoyable des habitudes de ses contemporains, il déploie image après image le ridicule niché partout. Quarante ans d’activité, plus de trente livres de photographies publiés depuis les années 80, de From A to B à Home and Abroad, en passant par Bad weather… Autant de recueils qui décrivent un parcours logique, mais qui passe par différentes phases, et qui fait de lui une personnalité autant dans le monde du journalisme, que de la mode et de l’art. Un CV des plus complets couronné par une multitude d’expositions, personnelles et collectives.

Aux origines de l’œil terrible

Elevé en banlieue londonienne, Parr éduque son œil dans les quartiers ouvriers. Etudiant à l’école Polytechnique de Manchester au début des années 70, c’est là que sa fascination pour le prolétariat, ses habitudes culinaires et vestimentaires, se transforme en désir de zoomer sur ces détails jusqu’à l’absurde. Un monde que l’on a coutume de représenter dans la grisaille, mais dont Parr fait ressortir les éclatantes (voire vulgaires) couleurs. Souvent criardes, toujours plus ou moins dans la définition d’un certain mauvais goût, celles dont il pare ses clichés font la quintessence de ce regard acide et tendre à la fois. L’intéressé affirme d’ailleurs volontiers son goût pour la couleur en général, dont il considère l’apparition comme la possibilité de montrer véritablement la dureté du monde. Car dans la photographie comme dans tout autre art, tout est évidemment affaire de représentation, et choisir d’intensifier la couleur équivaut à forcer le trait, souligner la vanité, refuser l’esthétisation et chercher le beau dans le kitsch manifeste élaboré dans une palette sans retenue.

Touriste, turista

Les séries peut-être les plus connues sont celles consacrées au tourisme. Activité considérée comme une forme de pèlerinage, décortiquée et souvent moquée par le touriste lui-même, elle n’en reste pas moins la première industrie au monde – dépassant même celle du pétrole, dont en plus elle se sert. Si de nombreux pays font tourner leur économie de cette manière, les méfaits causés ne sont un secret pour personne, et le ridicule patenté des masses se ruant dans les mêmes endroits, poussées par le même élan consumériste, a de quoi déprimer ou faire sourire. C’est la seconde option que choisit Parr. Ourlés d’un humour caustique et malin, ses clichés présentent là une plage pleine à craquer, recouverte d’humains plus semblables à des fourmis, étalés dans une perspective large accentuant l’effet d’accumulation. Ou ici plusieurs personnes devant la tour de Pise (fameuse tour penchée), s’acharnant à garder la pose pour qu’on les photographie en super héros capable de retenir la tour... Pris à cette distance, regardés par un œil extérieur à leur jeu, les touristes révèlent le pathétique de leurs habitudes.

Conscience et auto-conscience

Comme confié au journal Le Monde le mois dernier, Parr estime que « le quotidien est imbu d'une atrophie morale et d'une absurdité telles que le seul moyen de s'en accommoder est d'acquérir un certain sens de l'humour ». Voilà pour la justification de l’utilisation systématique de ce procédé. Et voilà qui met en évidence un trait essentiel de son œuvre : celui du quotidien. Un quotidien qui souffrirait d’une « atrophie morale » que l’artiste se doit de juger, dont il fait en quelque sorte le constat et tente d’exorciser par la voie la plus douce… Parr juge ce qui l’entoure, voyage beaucoup, immortalise autant les pyramides d’Egypte que Paris, les garden party anglaises que les Mc Do de Moscou, mais il se met également en scène. Si rien ne lui échappe, alors lui non plus n’y échappera pas. Une impressionnante série de plus de 70 autoportraits est visible sur le site de l’illustre agence Magnum (dont il est membre depuis 1994). Parr avec un béret, copié-collé devant la Tour Eiffel, Parr avec un collier à fleurs sur une plage sous un palmier, Parr en compagnie d’un gladiateur… Capable d’incarner lui-même les situations qu’il dénonce gentiment, il le fait avec toujours le même air rieur mais sans sourire, mettant encore plus en évidence l’absurde des comportements.

Anglais, I love you

On l’a vu, Martin Parr s’éloigne souvent de son pays d’origine, baladant son objectif hors des frontières de la belle île. Pour autant, il est manifeste qu’il aime particulièrement croquer les comportements de ses compatriotes. Les livres Foods et Flowers s’apparentent ainsi à un recensement ciblé et fort drôle. Haricots blancs, frites molles, puddings : des gros plans à l’ironie clignotante qui archivent les différents plats types en même temps qu’ils véhiculent les préjugés attachés à la nourriture anglaise. La série des fleurs s’attachent quant à elle à les exposer au premier plan, dissimulant une scène floue à l’arrière-plan… Ces fleurs habillant le moindre jardinet des banlieues cossues sont montrées comme elles sont soignées : en priorité. Une étude des Anglais qui se prolonge magistralement dans le livre Think of England, livre dont sont extraites les photographies exposées au musée Géo-Charles. Petit bijou d’ironie et d’esprit anglais, où l’on croisera des corps presque nus sur la plage avec leur indispensable radio, des bouquets de rhubarbe, ou encore des mouettes dévorant en toute insouciance les frites abandonnées par des touristes non moins insouciants…

Another country – les Britanniques en France (Rip Hopkins) Think of England (Martin Parr), du 13 juin au 4 novembre, au musée Géo-Charles (Échirolles). Vernissage le mercredi 13 juin à 19h.

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Lundi 11 juin 2012 Pour sa nouvelle exposition, le musée Géo-Charles prend le parti de lier ses choix artistiques à un évènement d’actualité : les Jeux Olympiques de Londres. (...)

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X