Le musée Stendhal va-t-il sortir du coma ?

Politique culturelle / Victime collatérale du "plan de sauvegarde" qui planifiait la fermeture de plusieurs bibliothèques, le musée Stendhal était dans le coma depuis 2016. Équipe renforcée, horaires élargis, et à venir, des travaux importants et une programmation culturelle : la municipalité compte donner un nouvel élan à cet appartement dans lequel l’auteur de "La Chartreuse de Parme" venait se réfugier, enfant, auprès de son grand-père. 

L’impulsion a été adoptée en conseil municipal, le 13 mars dernier, pour donner sa place à un patrimoine grenoblois qui ne l’a jamais vraiment trouvée. Voulu par la municipalité Destot, le musée Stendhal avait pourtant été inauguré en grande pompe, en 2012 : expositions, conférences, visites guidées, lecture par l’acteur Denis Podalydès dans la roseraie du Jardin de Ville et discours de feu Pierre Bergé (qui avait quelques années plus tard, offert à la Ville de Grenoble un ouvrage annoté de la main de Stendhal – valeur 300 000 €, tout de même). 

Le souffle est assez vite retombé. Peu de moyens, peu de visibilité et des horaires d’ouverture très restreints, en particulier depuis 2016 où le musée Stendhal, directement lié à la bibliothèque, a discrètement souffert du "plan de sauvegarde des services publics" de la municipalité Piolle. D’ailleurs, l’exposition temporaire qui occupe la dernière pièce de l’appartement est temporaire depuis… sept ans. La fréquentation est passée de 3500 visiteurs individuels en 2013 à 1300 l’année dernière. 

Malgré l’immobilisme, le musée, composé de quatre pièces et une terrasse appartenant à l’appartement Gagnon (grand-père d’Henri Beyle alias Stendhal) est très plaisant. Un vaste salon, une chambre, et deux cabinets (l’un dit "d’été", avec la bibliothèque d’époque reconstituée, l’autre d’histoire naturelle, avec en vitrine des minéraux et animaux empaillés ou conservés dans du formol) qui mènent à la terrasse et sa fameuse treille surplombant le Jardin de Ville. L’exposition consiste principalement en des tableaux de l’entourage de Stendhal et de scènes de l’époque, à regarder avec audioguide. On s’arrête devant quelques notes manuscrites de l’auteur, dont on regrette qu’elles n’aient pas été retranscrites à côté – Stendhal écrivait pire qu’un médecin. On déchiffre assez facilement, en revanche, la liste de ses "écrivains modèles". Quant aux bornes numériques, elles ne fonctionnent pas. 

« Quand on veut tuer un chien, on dit qu’il a la gale »

« Vous avez tué le musée Stendhal », accuse Émilie Chalas, conseillère municipale d’opposition (Nouveau Regard), en conseil municipal, revenant sur la diminution des horaires et moyens alloués à la structure en 2016. Au téléphone, elle enfonce le clou : « Si on veut planter le musée, la première chose à faire, c’est de réduire les créneaux d’ouverture. Forcément, la fréquentation s’effondre. Et là on dit que ça ne sert à rien et on coupe les dépenses. C’est ce qu’il s’est passé. Vous savez, quand on veut tuer un chien, on dit qu’il a la gale ! Ou alors ça peut être un choix, mais qu’ils l’assument ! Se présenter aujourd’hui en sauveurs du musée alors que c’est eux qui l’ont planté en 2016, c’est un peu cynique. » Émilie Chalas dénonce un projet bâclé, avec un budget insuffisant. D’autant que l’état général d’usure (éclairage dysfonctionnel, fuites dans la toiture, treille très abîmée…) est pointé dans le rapport. « Très décevant. » 

Entrer par le Jardin de Ville

Alors, que contient ce "projet scientifique et culturel" de 105 pages, adopté par le conseil municipal pour redorer le musée Stendhal ? Cinq axes, dont certains vont de soi ("Mettre les publics au cœur du projet", "Mieux connaître et conserver la collection"…) et d’autres sont plus concrets. Premièrement, le lieu en lui-même sera modifié, avec la création d’un accès directement depuis le Jardin de Ville et la signalétique qui va bien. Plus visible que l’actuelle porte coincée entre les boutiques de la Grande Rue, « dans l’idée de pouvoir placer ce musée Stendhal dans une géographie familière et intime des usagères et des usagers », indique Lucille Lheureux, l’adjointe aux Cultures d’Éric Piolle. « On est à quelques mètres de la gare basse du téléphérique de la Bastille, qui est le premier lieu visité à Grenoble. » Un projet à horizon 2025, dont le financement doit entrer dans l’enveloppe de 20 millions d’euros (dont 8 millions de l’État) allouée au plan lecture (qui comprend la construction de la nouvelle bibliothèque de 5000 m2 à Chavant). Cette ouverture sur le Jardin de Ville, pour donner de la visibilité à l’appartement et à sa superbe treille, Émilie Chalas elle-même juge que c’est une bonne idée. 

L’œuvre avant l’homme

Deuxièmement, les expositions permanentes ou temporaires devront davantage valoriser l’œuvre littéraire de Stendhal, et pas seulement sa vie d’homme. Logique : la Ville de Grenoble possède pas moins de 40 000 pages de manuscrits, un trésor qui compte, dixit la Bibliothèque municipale, « parmi les plus importants fonds de manuscrits littéraires modernes, par sa taille et par la qualité de certains des textes conservés ». Enfin, autre axe mentionné par Lucille Lheureux, « la dynamique scientifique : comment ce patrimoine, ces manuscrits qui sont à disposition à la bibliothèque, peuvent retrouver une actualité en accueillant des travaux de chercheurs, d’étudiants, en étant supports de thèses, d’articles, etc. ». 

En attendant, ces derniers mois, l’équipe a été étoffée, intégrée à un nouveau service municipal dédié au patrimoine culturel de Grenoble, dirigé par Charlotte Lejeune. Service logiquement installé rue Jean-Jacques Rousseau, dans une partie de l’appartement natal de Stendhal, qui abritait jusqu’ici les bureaux du Printemps du livre. Cet appartement, second haut lieu de la vie d’Henri Beyle à Grenoble – qu’il n’aimait pas, enfant –, est désormais "visitable" pour les groupes. Quant aux plages d’ouverture de l’appartement Gagnon, elles ont augmenté depuis le 7 novembre dernier : trois après-midi par semaine et le premier dimanche du mois. 

« On jugera l’arbre à ses fruits »

Du côté des Grenoblois stendhaliens, on se réjouit sans s’emballer. « Le premier musée Stendhal a ouvert dans les années 30 dans la salle Stendhal, qui s’appelle toujours comme ça. Ensuite, il s’est installé à l’hôtel Lesdiguières, dans les années 60 pour préparer les Jeux Olympiques. Celui-là a fermé fin 90 - début 2000, jusqu’au nouveau musée ouvert en 2012 dans l’appartement Gagnon », résume Patrick Le Bihan, président de l’Association Stendhal et des amis du musée Stendhal. « On avait fait, en quelque sorte, un travail de lobby ; on était très contents de cet élan, en 2012, mais ça s’est vite éteint. » Et encore plus quand, en 2016, le musée a fait les frais des restrictions budgétaires municipales. « On était marris. Mais la vie continue, on a poursuivi nos manifestations, au rythme d’une par mois, en marge de ce musée qui ouvrait très rarement. »

Forte de 250 adhérents, l’association suit bien évidemment de près le nouveau chapitre du musée. « C’est un projet très administratif, mais peu importe. Il y a de la bonne volonté, des moyens humains. L’élargissement des horaires, c’est déjà bien. Mais on ne peut pas se contenter d’ouvrir la porte, allumer la lumière et attendre le client », prévient Patrick Le Bihan. « Les gens déjà convaincus sauront trouver le chemin. Les autres, il faut les tirer par la manche avec des expositions temporaires, des animations, des événements autour d’auteurs de sensibilité stendhalienne. Et au-delà de ce qu’il a écrit, c’est toute une époque. Pour quelqu’un qui a un peu d’imagination, un peu de pédagogie, les angles d’attaque sont infinis. » L’orientation plus littéraire du musée parle à cet amoureux de Vie de Henry Brulard : « Ce n’est pas normal que dans ce lieu, on ne puisse pas s’asseoir dans un bon fauteuil pour lire un livre de Stendhal ! » Très ouvert à l’idée de participer à une programmation, il n’en reste pas moins comme Saint-Thomas. « On jugera l’arbre à ses fruits. Mais partant de rien, on ne peut qu’aller vers quelque chose ! J’ai du recul : l’histoire du stendhalisme a 200 ans. Ça continuera, même si on ne sent pas une sève très vivante… Sauf lors des Journées du patrimoine, où l’on reçoit beaucoup de nouvelles adhésions, soit 48h par an. Et ça, ça s’appelle du potentiel ! »

 

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