Biennale de la Danse / Bam ! Maguy Marin nous donne une grosse claque au TNP. Mais pour nous réveiller ou pour nous assommer ?
Imaginez un remake contemporain des Temps modernes de Chaplin tourné par Michael Haneke, et vous obtiendrez, peu ou prou, la nouvelle création de Maguy Marin présentée à la Biennale de la Danse. Soit (comme chez Haneke) un véritable piège à spectateur où, sous les coups de butoir du son très amplifié d'une photocopieuse, six interprètes cheminent mécaniquement sur un plateau représentant un open space.
Chacun vient, en entrées et sorties de scène répétitives, déposer dans son propre bureau quelques objets. Des objets d'abord raccords avec la situation (des stylos, un encas pour la pause déjeuner, une lampe...), puis des objets de plus en plus incongrus (vêtements, paire de skis, puzzle, perruques...). Et cela continue ainsi, pendant une heure, jusqu'à saturation et au syndrome de Diogène (maladie de l'entassement), sans interruption ni changement, si ce n'est quelques bugs furtifs des danseurs sur leurs trajets, ou quelques spasmes préfigurant un burn out.
Leçon de choses
La leçon de choses est claire : la société de consommation et la réification des relations humaines est parvenue aujourd'hui à son comble, et touche jusqu'à l'intimité des sujets, c'est-à-dire jusqu'à leur corps et leur affectivité. Comme chez Haneke toujours, la situation dans laquelle Maguy Marin nous immerge est insupportable. Volontairement insupportable.
Et, pour la première fois de notre longue carrière de fan absolu de la chorégraphe, nous avons eu envie de quitter la salle au bout de quinze minutes. Non pas que, soudain, nous aurions pris conscience de notre propre mode de vie écœurant et/ou de celui des autres : non, c'est insupportable parce que pour la première fois Maguy Marin ne propose pas le moindre point de fuite ou levier de résistance aux corps de ses interprètes, et qu'on ressent seulement, dans sa pièce, une colère démonstrative, lourde, étouffante. Une colère facile aussi et, au fond, franchement ancienne : il suffit de penser à Pasolini, Marcuse, Debord, et tant d'autres...
On nous dira que leur diagnostic est toujours valable, voire n'a jamais été autant valable qu'aujourd'hui. Nous sommes d'accord, mais nous sommes aussi suffisamment sûrs du talent créatif de Maguy Marin pour ne pas se limiter à nous plaquer péniblement un diagnostic, mais capable d'esquisser quelques pistes thérapeutiques ! Ou alors si c'est vraiment foutu, alors arrêtons tout, arrêtons même d'aller "mécaniquement" voir de la danse après le boulot.
Maguy Marin, Ligne de crête
Au TNP jusqu'au 15 septembre
Puis en tournée en France, dates en cliquant ici