Rone : « tout d'un coup, j'ai réalisé que ce projet qui me semblait être un édifice énorme, était hyper léger »

Electro orchestrée / Rone est un de ces artistes qui prouvent combien les frontières entre le spectacle vivant, le cinema, la musique électronique et celle dite savante, peuvent être poreuses. Son nouveau projet «L(oo)ping», sorti le 16 juin (et un film-objet diffusé sur ARTE le 23 juin), en est un témoin. Il réunit le compositeur Romain Allender, l’Orchestre national de Lyon et le chef d’orchestre Dirk Brossé autour d’une expérience musicale tout en reliefs et en poésie, captée, en live, par 122 microphones — et cristallisée dans un album porté par InFiné. Ce projet, bien moins fugace que ce qu’il devait être, aurait pu s’arrêter par un refus poli de l’artiste. Il est devenu une performance collective ébouriffante, menant l’ONL sur InFiné. Ça valait bien un coup de fil au principal intéressé.

Le live, l’album, le film dans lequel grouillent de nombreuses disciplines autour du concert… ce projet a évolué et s’est étoffé au point de prendre une ampleur grandiose. Était-il réfléchi dans une telle globalité ?

Rone : Ce projet commence avec cette belle idée de Marc Cardonnel [NDLR : conseiller artistique aux musiques actuelles pour l'Auditorium] de faire jouer mes morceaux par l'Orchestre national de Lyon. Une proposition que j'ai trouvée super généreuse, un peu impressionnante aussi. Se retrouver avec un orchestre symphonique, moi qui viens de la musique électronique, c'est un autre monde. Ce qui a débloqué tout ça, c'est la rencontre avec Romain Allender, le compositeur qui a arrangé mes morceaux pour l'orchestre. C'est presque lui qui a le plus travaillé sur ce projet, finalement. Il a écrit les partitions pour tous les instruments. Et puis ensuite, c'est la rencontre avec l'orchestre. J'avais la sensation que deux planètes se rencontraient, d’être un extraterrestre au milieu. Mais on a réussi à trouver un langage commun, celui de la musique, tout simplement. C'était vraiment le plus excitant. Je suis arrivé quand même avec presque un petit complexe d’infériorité face à la grande musique. J’ai été très vite mis à l'aise grâce à Dirk Brossé, le chef d'orchestre, qui était super enthousiaste et a su le partager à tous les musiciens.

 

À l’époque, Romain Allender était déjà partisan de votre musique. Il dit d’ailleurs qu’il y décelait une «texture sonore proche de celle d’un orchestre ».

C'est intéressant qu'il ait dit une chose pareille. La rencontre avec Romain était étonnante tant nos parcours sont différents. Moi, je suis plutôt autodidacte, je bidouille sur mes machines depuis que je suis ado, en faisant des nuits blanches ma chambre. Lui, il a un parcours un peu plus classique et costaud de conservatoire. Et j'ai été très touché de voir qu'il connaissait très bien ma musique. Il a senti vraiment des passerelles avec la musique classique, qui est finalement peut-être celle que j'écoute le plus. C'est ma principale source d'influence musicale, donc il devait y avoir une influence inconsciente. Il y a une espèce de liberté dans la musique électronique qu'on retrouve dans la musique classique, des liens très forts entre ces deux genres.

 

Vous aimez dire que l’orchestre vous impressionne beaucoup et que vous êtes le seul à ne pas savoir lire de partition, par exemple. Vous êtes pourtant le seul à savoir dompter ces synthétiseurs modulaires qui vous accompagnent dont chaque pièce a été choisie et assemblée pour créer votre propre partition…

C'est vrai. Mais je suis beaucoup moins complexé maintenant. Cette expérience m'a vraiment fait du bien, elle m'a fait réaliser qu’on a des outils et des méthodes différentes, mais qu’on fait tous de la musique. Je ne comprends pas tout ce qu'ils font et je crois que eux ne comprennent pas du tout ce que je fais. Mais c'est ça que je trouve assez beau au final de voir comment on arrive à créer quelque chose en commun. C’est presque politique, c’est ce qui me plaît beaucoup dans cette expérience.

 

Une expérience que vous apparentez à un looping, donc, qui renvoie pour vous « au fun, à la performance acrobatique, au côté casse-gueule. » Vous dites aussi ne pas vouloir donner l’impression de vous prendre trop au sérieux. Pourtant, le looping est précisément une figure aérienne qui demande une extrême maîtrise de sa machine, une concentration et une expertise particulièrement pointue.

(Rires). C’est vrai que vu comme ça… déjà, il y a un truc un peu débile qui est devenu une obsession quand je cherchais le titre : je m'amusais à donner des titres de projets avec deux O collés pour symboliser les lunettes rondes. C’était une piste de réflexion. Il y a le looping qui a jailli. J’y voyais le côté rigolo, plutôt que d'appeler ça « symphonie ». Sur ce projet quand même, j'avais l'impression de sortir de ma zone de confort, de la musique électronique dans mon studio et de faire un petit looping, mais maitrisé, vous avez raison.

 

Looping the loop, c’est aussi « boucler la boucle ». Est-ce que cela symbolise le renouveau de Rone, ou le retour du geek autodidacte à son studio en solitaire ?

Je suis en plein questionnement. Je suis en train de composer la musique d'une série, c’est un gros travail, je suis un peu la tête dans le guidon. L’idée, c'est que je fasse un nouvel album. Et c'est vrai que pendant longtemps, je réfléchissais à revenir avec quelque chose de très électronique. Et puis, en fait, plus j'y pense et plus le travail collaboratif me plaît, je trouve ça très beau. Donc j’aimerais quand même faire intervenir des musiciens que j'aime, mais ce n'est pas encore très clair. Pour l'instant, ça me fait naviguer entre les musiques de films, les musiques de spectacles avec des danseurs, les musiques avec un orchestre. Je suis plutôt à la recherche d'expériences nouvelles.

Vous entretenez une relation particulière avec le cinéma que vous avez étudié avant de vous consacrer à la musique. Ces deux mondes se retrouvent largement dans votre travail maintenant. On pense récemment à la BO des Olympiades de Jacques Audiard, dont le titre Opening se retrouve dans votre nouvel album.

Enfant, j’étais un garçon plutôt timide, anxieux, j’avais du mal à m’exprimer. J'ai trouvé des moyens d'expression à travers la musique. C’est vraiment venu de manière très naïve, sans prendre de cours. Je passais des nuits blanches sur des logiciels et j'avais l'impression d'arriver à exprimer des choses que je ne pouvais pas exprimer autrement. Après le bac, j'étais paumé, je n'avais aucune ambition dans la musique parce que pour moi, c'était un truc personnel ou thérapeutique. Je me suis planqué en fac de cinéma où j'ai fait quatre ans qui m'ont beaucoup nourri. Au-delà du cinéma, ça m'a forgé une petite culture, même musicale. Et puis, j'ai été rattrapé par ma musique, qui a été entendue par InFiné, qui m’a proposé de sortir un premier disque. Pour moi, c'était un peu une blague au départ. Mais il y a eu un concert, puis deux, et je me suis retrouvé embarqué dans la musique presque sans me rendre compte. Ce qui est rigolo, c'est que j'ai fait dix ans comme ça et puis je suis revenu au cinéma par le biais de la musique de film. Là, pour le coup, la boucle me semble vraiment bouclée. 

Le titre Motion, présent également sur l’album, est le premier qui vous a permis de mêler musique électronique, orchestre symphonique, et écran, puisqu’il était destiné à la pub…

C'est grâce à cette pub que j'ai pu avoir une première expérience avec un orchestre symphonique. Il y avait déjà Romain Allander dans le coup. C'était un enregistrement sur deux jours comme ça avec l'Orchestre des Siècles, dirigé par François Xavier Ross. Ça m'a permis de m'y frotter et de me rendre compte que ça m'intéressait beaucoup, que j'adorais ça.

La construction et l’ordre d’un album raconte souvent une histoire. Comment réussir à garder une narration aussi fluide que celle de Looping avec une sélection de titres pour la plupart déjà sortis sur différents projets, à différentes périodes ?

C'était la première étape de ce projet que j'ai adorée. C’était un peu étrange de revenir sur tout mon répertoire et de fouiller dans cinq, six albums. Certains morceaux étaient comme des évidences. Je pense à Bora avec Alain Damasio, le premier que j'ai sorti en 2008 sur InFiné. L'idée, était de le dépouiller au maximum, qu'il y ait très peu de présence électronique, même pas du tout. Juste la voix d’Alain portée par l’orchestre. Puis il y avait des morceaux sur lesquels je me questionnais, Romain en suggérait d’autres qui lui parlaient beaucoup… Une fois qu'on avait nos pièces du puzzle, on les a assemblées. Qu'est ce que je veux raconter ? Où est-ce que je vais emmener les gens ? J'ai envie qu'il y ait du contraste, du relief, des rebondissements. Là, c'est encore tout le jargon du cinéma qui ressort, je voulais qu'il y ait un climax, qu'on monte, qu'on redescende, qu'il y ait du suspense.

L’équilibre entre musique électronique et orchestre a t-il été évident à trouver ?

Quand j'ai fait ce projet, vraiment, il y avait un piège dans lequel je ne voulais pas tomber. Ça me gênait quand l'électronique s'imposait trop. J’avais envie que l'orchestre soit le principal sujet de ce spectacle. Et du coup, il fallait trouver des manières très subtiles de faire intervenir la musique électronique. L'idée, c'était presque de faire en sorte que parfois, on ne sache plus exactement qui fait quoi.

Pensez-vous raconter cette histoire en live à travers le monde à présent ? La partition — contrairement à la musique électronique live — permet de transporter un projet a priori très lourd (80 musiciens) dans n’importe quel orchestre. Est-ce déroutant de découvrir que sa musique est reproductible par d’autres à l’infini ?

C'est marrant que vous parliez de ça parce que c'est vrai je l’ai réalisé très récemment. Je me souviens très bien après avoir fait la série de concerts à Lyon, lors de la dernière date, tout le monde était ému. Je me disais « C'est un peu dur si l'aventure s'arrête comme ça, ça serait bien de continuer ». Mais ça me paraissait tellement énorme et impossible de voyager avec ce projet. Et là, le chef d'orchestre Dirk Brossé m'a fait prendre conscience qu'en fait, on était hyper légers avec ce projet. Parce qu'il suffisait qu'on parte, lui et moi, avec les partitions sous le bras, une petite valise avec deux ou trois synthés et on peut jouer avec n’importe quel orchestre du monde de manière assez écologique. Tout d'un coup, j'ai réalisé que ce projet, qui me semblait être un édifice énorme, lourd, massif, imbougeable, était hyper léger. J’ai trouvé l’idée très belle.


Sans oublier d’emmener votre acolyte, le Mexicain Cubenx qui joue à vos côtés.

Oui ! J’ai fait appel à Cubenx, qui est un vieil ami, et mon collègue de label chez Infiné. Quand j'ai commencé à travailler sur ce projet Looping, j'ai réalisé que techniquement, il y aurait pas mal de boulot. Notamment, avec cette idée d'enregistrer l'orchestre en direct et de récupérer ça dans nos machines pour générer des effets sur ce qui était en train d'être joué par l’orchestre, de créer des textures très subtiles. Ça implique que quelqu'un soit complètement dessus. Et comme j'avais d'autres envies, jouer des petits éléments électroniques, des arpèges, quelques kicks… il fallait qu'on soit deux. J'ai proposé à César (NDLR, son vrai prénom] de se joindre à moi et il a accepté. C'est très rassurant.

L(OO)PING, sortie le 16 juin sur toutes les plateformes de streaming
Diffusion du concert le 24 août sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes
Diffusion du film de Louise Narboni sur Arte Concert le 23 juin

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