Culture dans les petites communes : « On bricole, on trouve des astuces »

Politique culturelle / En bordure de l’une des métropoles les plus denses de France en matière d’offre culturelle, les petites communes s’ingénient à proposer des événements et spectacles, à leur échelle, avec un objectif de convivialité et de rassemblement qui prime sur l’artistique ou l’esthétique.   

Enfilez l’écharpe tricolore sur une épaule. Imaginez les piles de dossiers et les montagnes de formalités administratives, les heures d’ajustements d’un budget toujours plus serré, les amoncellements de plaintes et doléances de vos administrés, les agendas pleins de rendez-vous à honorer, les sueurs devant les responsabilités que vous avez endossées. Vous voilà dans la peau de l’élu local d’un village. Quelle place accorder à la culture dans tout ça ?

« On a peu de moyens financiers et humains fléchés vers la culture. Donc on bricole, on trouve des astuces », indique Didier Perrin, adjoint au maire de Noyarey délégué à l’animation, à la culture et au patrimoine. « On a envie que quelque chose se passe, d’autant que beaucoup d’habitants, qui ne sont pas sensibilisés à la culture, n’iront jamais à la MC2 ni à l’Heure Bleue. » Et encore, cette commune de moins de 2300 habitants est dotée depuis 2016 d’une salle nommée Poly’sons, prévue pour accueillir concerts, spectacles et événements variés. « Un bel aménagement, mais qui est resté longtemps une coquille vide ; il a été délaissé par l’ancienne équipe municipale », assure Didier Perrin. Car l’équipement ne suffit pas ; le faire vivre, c’est un vrai boulot. Cette année, à l’occasion des 10 Jours de la culture de la Métro, Poly’sons accueillera plusieurs spectacles. « Le fait que la Métro nous propose un catalogue de spectacles, et les finance en partie, c’est ce qui a lancé les choses à Noyarey depuis 2020. Ça a fait boule de neige. Et maintenant, on utilise Poly’sons pour accueillir des compagnies en résidence. En échange elles reviennent et offrent une représentation à la commune. »

Mais comment ça marche, la culture ?

Outre les moyens, c’est parfois simplement la connaissance du fonctionnement du milieu culturel qui pèche. Comment choisir un spectacle, combien ça coûte, comment défrayer les artistes, de quels moyens techniques ont-ils besoin ? Estelle Revol, conseillère municipale au Gua (1794 habitants disséminés sur 28 km2) a sans doute hérité du portefeuille culture parce qu’elle avait un pied dedans de par sa profession : elle travaille au sein d’un organisme de formation dédié aux artistes interprètes. « Ça m’aide, mais uniquement dans le sens où je connais le fonctionnement des artistes ; je sais que ce sont des intermittents, qu’ils ont besoin d’un cachet, qu’ils ont des techniciens… » Également en charge des affaires sociales, Estelle Revol fait preuve d’un volontarisme affirmé pour animer sa commune, ce qui n’est pas toujours facile. « On n’a pas de ligne budgétaire culture, on prend sur le budget fêtes et cérémonies, qui comprend le 14 Juillet, des choses comme ça. C’est environ 4000€ cette année. »

À son arrivée au conseil municipal en 2020, Estelle Revol, qui est aussi vice-présidente du CCAS du Gua, avait « des envies mais pas d’idée précise sur comment faire, et avec quel budget ». S’appuyant sur le financement accordé par la Métropole dans le cadre des 10 Jours de la culture, la commission animation qu’elle a composée a lancé Octobre en fête. Une façon de grossir l’événementiel de l’année à moindre frais. Reste l’impondérable inconnue du public. « Il y a des spectacles où je me suis plantée, c’est-à-dire que j’ai eu très peu de monde. Mais pour moi, c’est nécessaire de proposer des moments culturels pour nourrir les gens, intellectuellement j’entends, et partager. En tant qu’élue, je suis là au service de la population. Même si je ne rencontre pas le succès que je voudrais, je continue ! Sinon, c’est Netflix chacun chez soi, et voilà… »

Les bénévoles et les privés comptent

Plus petite est la commune, plus compliquée est la mise en œuvre d’une programmation culturelle. Ainsi, l’équipe municipale de Sarcenas, 231 habitants, est composée de neuf élus qui se partagent les questions d’urbanisme, d’espace public, d’environnement, de tourisme, de finances, d’enfance… « Dans de petites communes comme la nôtre, la frontière n’est pas claire entre la culture et l’animation », prévient le maire de Sarcenas Sylvain Duloutre. « Et bien sûr, nous n’avons pas la structure technique ni financière suffisante. »

Heureusement, dans ce village, une association organise bénévolement des animations et rendez-vous culturels : Loisirs et culture à Sarcenas. « On délègue, et on leur met à disposition des moyens techniques et financiers. »  À hauteur d’une subvention de 2000€ cette année. « Sans eux, ça ne pourrait pas se faire. Nous avons aussi des privés, sur le site du Col de Porte notamment, qui proposent principalement des concerts. C’est quelque chose qui a explosé il y a six mois ; on le prend en compte pour proposer, au niveau de la commune, des choses différentes, du spectacle vivant en particulier. Finalement, peu importe qui le fait. Pour nous, l’idée c’est vraiment de créer du lien, faire en sorte que les gens se rencontrent, favoriser l’entraide. Il y a quelques années, il y avait vraiment une absence de vie de village. Nombre de gens ne se connaissaient plus, notamment les nouveaux arrivants. On a utilisé les moyens numériques, comme WhatsApp ou les réseaux sociaux ; c’est une chose mais ça reste virtuel. Pour nous, la culture vise à mettre en place des moments de partage réels, c’est juste un moyen de créer du lien. » D’autant qu’étant proche de l’agglomération, pas question d’imaginer rivaliser en termes de programmation. « On n’a pas, à Sarcenas, de public défavorisé en matière d’accès à la culture ; les habitants n’ont pas besoin de nous pour consulter les programmes des salles de l’agglo. »

Côté publics, ces élus de petites communes peuvent compter sur les familles, toujours au rendez-vous pour occuper les enfants. Pour le reste, c’est plus compliqué. « Les jeunes de 15 à 25 ans, c’est très difficile », confie Estelle Revol, au Gua. « On a proposé des concerts pop, et pas des trucs ringards : on travaille avec Retour de Scène. Je sonde les jeunes de ma famille, à chaque fois. Mais c’est difficile de capter ce public. » Les seniors sont également discrets. « Autant, les jeunes actifs avec enfants sont très faciles à atteindre. Mais il est beaucoup plus ardu de déplacer les gens plus âgés », témoigne Sylvain Duloutre, le maire de Sarcenas. « Je crois que pas mal de personnes sont intimidées par la culture et perçoivent, à tort, les spectacles comme difficiles d’accès. » Estelle Revol, elle, rêve d’un projet un peu plus grand : créer un spectacle fait par les habitants et pour les habitants, autour de l’histoire des Justes de Prélenfrey, ces villageois qui ont caché des dizaines de juifs pour les protéger des nazis, en 1944. « Mais là, il faut trouver des financements, nouer des partenariats… Il faut vraiment prendre du temps. J’espère que ça pourra voir le jour, un jour. »

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